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7 juillet 2017 5 07 /07 /juillet /2017 22:53

"C'est l'état d'urgence en France, depuis des mois, parce que c'était une urgence d'État de répondre à la menace invisible du terrorisme par des mesures visibles, peut-être inefficaces mais bien visibles. Le plus gros de notre force militaire est occupé sur notre propre territoire à surveiller des lieux de culte, des écoles, des gares et des grands magasins. Les soldats ont obtenu le droit d'avoir un chargeur plein de munitions, tant que la première balle n'est pas engagée dans la chambre. Ils ont obtenu le droit d'intervenir sans attendre d'ordre de leur commandement, si une menace précisément identifiée l'impose. Je trouve que ça se voit, qu'ils sont sur les dents. Ils sont , leur disent leurs hiérarchies, des cibles vivantes en faction, sur le qui-vive, comme en territoire ennemi. Ceci n'est pas un exercice. Ils sont en France comme en territoire ennemi, parce que la France est un théâtre d'opérations militaires. Nous sommes en guerre. Ils dorment mal. Les fusiliers marins loin de leurs bateaux. Les chasseurs alpins sans leurs skis. Ils sont fatigués. Ils ont un peu peur. La menace, c'est n'importe quelle mère de famille avec un foulard sur la tête, ou n'importe quel groupe de jeunes qui s'approcheraient en parlant fort en arabe.

   Il finira par y avoir une bavure, c'est certain. Les banlieues s'embraseront. Par leur violence, elles donneront rétrospectivement raison à l'État policier... Alors, on les nettoiera pour de bon, avec des chars, pas avec des Karcher. Et tout ira encore plus mal. Le monde sera encore plus triste et méprisable. C'est de la science-fiction, évidemment, mais si je peux l'écrire c'est que c'est possible, et l'on vit une époque où très peu de choses ne se réalisent pas, dès lors qu'elles sont possibles. Peut-être même que je l'écris pour conjurer le sort, pour que ça n'arrive pas.

   Pourtant en venant ce matin au lieu de rendez-vous, en prenant le métro, je me suis retrouvé à la correspondance, à République, sur le quai à côté d'un jeune homme coiffé d'un petit bonnet rond au crochet, barbe plastronnant sa poitrine, robe blanche jusqu'aux genoux, pantalon s'arrêtant à mi- mollet, sandales. Il sortait tout droit d'un documentaire sur les Frères musulmans. Il portait un sac de sport noir. Ça m'a mis en colère. J'ai eu envie de l'interpeller, de lui demander si ça le faisait rire de mettre son déguisement pour faire peur aux gens, en ce moment, s'il  croyait que c'était mardi gras, j'ai eu envie de l'insulter et j'ai compris qu'il me faisait peur. Je n'en suis pas fier, parce que j'ai fait quelque chose de vraiment absurde. Je me suis contenu, je n'ai rien dit, je me suis contenté de garder ma peur pour moi sans réussir à m'en débarrasser non plus et, comme je ne savais pas trop quoi en faire, j'ai laissé passé un métro.

   Et je me suis dit : " Merde, si tu penses qu'il peut y avoir une bombe dans son  sac, pourquoi tu n'as pas appuyé sur le signal d'alarme ? "

   Je me suis dit : " Si c'est vraiment stupidement paranoïaque, de suspecter n'importe qui, comme ça, pourquoi tu n'es pas monté dans le même métro que lui ? "

Je mes suis dit :" Merde, pourquoi il s'habille comme ça aujourd'hui ? C'est de la provocation ." Et j'étais prêt à interdire le port de la barbe en public.

   Je me suis dit : " Si tout le monde le regarde avec autant de méfiance, avec autant de colère, il va se déguiser de plus en plus. " Peut-être que ça avait débuté comme ça, pour lui.

   Je me suis dit : " Si on regarde les Arabes comme si c'étaient des musulmans, alors autant qu'ils portent la barbe. "

   Évidemment, il y avait un prolongement assez peu rassurant à cette idée : " Si on regarde les musulmans comme si c'étaient des terroristes, alors autant qu'ils mettent des bombes. "

   Quel monde de merde ! "

 

Thomas B. Reverdy, Sylvain Venayre : extrait de "Jardin des colonies" Flammarion 2017

 

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