
" Alors que le bateau danse dans les lames, elle pense à son ventre.
Cet enfant, elle a déjà envie de le tenir, elle n'ose pas lui parler, elle le caresse juste doucement du doigt. Comment comprendre cette certitude ? Une fois à Rio ou ailleurs elle s'établira. Elle trouvera du travail dans une bonne clinique, d'excellents médecins se pencheront sur ce germe, cet être grandissant dans ses entrailles. Elle pourrait retourner à Paris. Tout à coup, elle a envie de Paris, de rentrer chez elle, qu'est-ce que cela changerait, elle est bien ici, à flotter au milieu de la tempête sans rien toucher du monde... Elle se demande où s'abritent les mouettes, pendant les tornades, peut-être restent-elles en vol bec au vent tout du long de l'orage. À Paris, c'est la fin de l'été ; un visage apparaît, elle ne le chasse pas, au contraire, elle le détaille, elle le convoque dans cette cabine où la voix puissante, le cri du vent rappelle les spectres. Comment lui en vouloir, elle ne peut en vouloir qu'à elle-même, elle savait dès le départ, elle le désirait pour ses blessures, ce tremblement, cet angle de l'âme, la dureté fragile du verre, un homme de verre, rien de plus..."
Mathias Énard : extrait de " Remonter l'Orénoque", Actes Sud, 2005
Du même auteur, dans Le Lecturamak :
Le cavalier rouge ( Mathias Énard ) - Le Lecturamak
M.Enard, photo G.Seguin ( Okki ) " Qu'est-ce qu'on cherche dans les déplacements, que veut - on dans les voyages, rien ne me rendra jamais Vladimir, le prince Bolkonski a disparu depuis longtemps ...
http://le-lecturamak.over-blog.com/2017/10/le-cavalier-rouge.html
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L'eau chargée d'alluvions abrite dans son profond des créatures étranges. Dans la boue fluide qui se veine de bleu, sous les lourdes taches sombres lâchées par l'affluent, tapie dans les herbi...
https://www.lemonde.fr/livres/article/2005/04/14/mathias-enard-roman-fleuve_638827_3260.html