" Je me rappelle des incidents, des pans de vie - en fait, des pans mineurs dans une longue vie et uniquement lorsqu'ils croisaient la mienne. Je vois des scènes - des images et des scènes. Je ne connais ma mère qu'en sépia.
La vie de quelqu'un, n'est-ce pas plus qu'une collection de scènes ? N'est-elle pas davantage que les images que j'ai compilées dans ma tête ? Ces questions peuvent paraître rhétoriques, mais franchement je ne sais pas. Je n'arrive pas à savoir si ce que je comprends d'elle est limité, si je ne parviens pas à la connaître en raison d'une déficience de base de ma part, ou bien si tout être humain ne peut pas comprendre un autre être humain au-delà d'une certaine limite. La question qui me taraude réellement est de savoir si je connais quiconque mieux que je connais ma mère. J'ai l'impression d'avoir toujours demandé, avec Lear : " Quelqu'un me connaît-il ici ? " Essayer de connaître un autre être humain me semble aussi impossible, et aussi ridicule, qu'essayer d'attraper l'ombre d'une hirondelle. "
Rabih Alameddine, extrait de " Les vies de papier", Éditions Les Escales, 2016
Les vies de papier, Rabih Alameddine
Interrogation sur la vie, et sur ce qu'on en fait, ou ce qu'on peut - et jusqu'où - en faire. L'immeuble dans lequel habite Aaliya - la libraire traductrice - est lui-même de papier : vétuste ...
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