" On ne mesure jamais jusqu'où on s'expose, se met en danger, tous ceux qui s'arrachent livrent leur kilo de
chair aux chiens et aux autres... A chaque exposition, Courbet retraversait le même mur, il le savait... Il y a l'homme d'avant et celui d'après... il semblerait qu'une chimie s'opère. C'est l'émotion bien sûr de voir ses toiles pendues au mur, c'est surtout le regard des autres qui brutalement n'est plus le même. Tout vient de là, le peintre comme l'enfant qui vient au monde en dépendent corps et âme de cette lorgnette !
La chair aux chiens ! ...en pâture il se donne, accroché aux murs ! quand il n'a plus d'armes pour se défendre, quand il s'est battu contre
lui-même, tout ce qui l'empêchait, il a tout donné...alors maintenant tout l'atteint, un mauvais regard et le voilà sous terre... enterré, mort-vivant !
On pourrait croire qu'en accrochant ses toiles il s'en détache. Je t'en fous ! Il y est tout dedans et c'est bien lui qu'on va mordre... ou caresser ! là qu'elle commence la chimie. Un arbre fait des feuilles, des fruits, des graines qui donneront d'autres arbres... l'art n'est rien que naturel, un mouvement de la nature, de l'être, sa floraison... et sa chute. Si on l'empêchait de faire ses feuilles, Courbet s'étiolerait, se fanerait, végéterait. Il en savait quelque chose à quarante-sept ans parce qu'il avait choisi de se mettre sur la place publique... Choisi ? Un arbre ne choisit pas de faire des feuilles, c'est sa nature, c'est tout... comme ça qu'il vient au monde. On n'en finit pas de venir au monde."
François Dupeyron : Le Grand Soir Actes Sud 2006