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7 septembre 2019 6 07 /09 /septembre /2019 09:45
Raoul Peck lors de la séance photo avec le jeune Karl Marx à la Berlinale 2017
Raoul Peck, 2017

Marx .

Les partis communistes à l'Ouest et les prétendus pays communistes de l'Est font tout sauf s'inspirer de Marx. Ce qui me séduit dans le travail de Marx et d'Engels, c'est cette capacité qu'ils ont de toujours se remettre en question et de ne pas prétendre avoir la vérité une bonne fois pour toutes. J'ai tenté toute ma vie de remettre en question les choses, tout en ayant une lecture structurelle du monde. Si on ne comprend pas dans quel monde on vit, il est difficile de porter un regard critique et de trouver des solutions à certains problèmes. Pour moi, Marx est la base car il a analysé la société capitaliste dans laquelle on est : une économie basée sur le profit et sur ce qu'on appelle pudiquement le "marché". Tout est soumis à cette vision du profit, jusqu'à l'absurde. On est capable de casser une communauté en fermant une usine, sous prétexte qu'en délocalisant 100 kilomètres plus loin, à l'étranger, on peut gagner 1,5 point à la Bourse. C'est cette espèce de machine aveugle que Marx décortique. Cette tendance maladive à accumuler de l'argent. En 2017, 82% des richesses produites sur la planète ont bénéficié aux 1% les plus riches : ça dépasse l'entendement...

Quand je parle d'approche marxienne, je ne colle pas une théorie à ce que je fais. Au contraire, et cela m'a peut-être sauvé de tout dogmatisme, j'ai voulu assimiler ces connaissances et les restituer de manière naturelle dans ce que je fais... J'ai la chance d'avoir été éduqué et formé dans un contexte occidental. Mais pendant que je vivais ces combats dans la réalité allemande, je les suivais aussi dans la réalité du tiers-monde, en Haïti ou ailleurs. Je n'ai jamais privilégié l'un aux dépens de l'autre. J'ai constamment vécu dans ces deux pays, je me suis aperçu au fur et à mesure des années que mes compagnons européens, eux, se recroquevillaient sur leur réalité nationale, et que cette espèce de solidarité avec le tiers-monde était en train de s'effacer... Cela a pris de formes diverses, par exemple beaucoup d'anciens militants de gauche sont entrés dans les partis écologistes, d'autres sont allés à la social-démocratie ou au Parti socialiste. Et cela correspond en France à la droitisation de ce parti qui a ouvert toutes les vannes pour laisser entrer le capital et l'embourgeoisement qui va avec. C'est un changement qui s'est effectué sur une trentaine d'années. À partir des années 1970, avec la grande crise pétrolière, la montée du chômage, on a vu triompher ce qu'on a appelé la "rationalisation" des appareils et dispositifs industriels et économiques. Partout, pas seulement dans les industries, mais aussi dans les institutions d'État, dans les universités, on coupe les budgets, et tout le monde se retrouve fragilisé. En même temps, ça correspond à une époque où on a de moins en moins honte de l'argent. On l'a vu après l'arrivée au pouvoir de Mitterrand : très rapidement on n'a plus honte de dire qu'on gagne beaucoup d'argent. Cela a des conséquences sur la politique. Ma génération est la dernière qui est sortie de l'université en étant quasiment assurée de trouver du travail... D'où une fragilisation générale et on n'a plus le temps de s'occuper des affaires des autres plus miséreux. C'est la montée d'un certain cynisme mais aussi d'une énorme capacité de mobilisation émotionnelle pour de "grande causes" ( La faim dans le monde, la guerre, un tsunami) de courte durée. Pourtant, en tant que Français ou Britannique, ce qui se passe en Afrique du Sud vous concerne, puisque vous profitez de l'exploitation qui se fait dans les mines d'or d'Afrique du Sud, dans les mines de diamant, sur les sites d'uranium, dans la fabrication de la bombe, etc. On peut décider de ne plus voir ces relations qui existent encore avec le pays de l'apartheid...Il en va de même pour Haïti, je pouvais constater que beaucoup de partis frères européens se désintéressaient des problèmes que nous pouvions avoir. Non par méchanceté, mais simplement parce qu'ils étaient préoccupés par leur propre survie...

 

Baldwin.

 

... Avec mes amis noirs américains, j'ai souvent eu un autre type de discussion. Par leur socialisation et leur vécu au quotidien dans une sorte de violence, d'abord, de racisme ensuite, latent et à fleur de peau, ils ont une patience très limitée envers toute dérive discriminatoire. D'ailleurs, un certain nombre de blagues vaseuses en France, genre " Bamboula ", " Banania " et autres subtilités bas de gamme, genre Agathe Cléry, ne passeraient pas. Ils ont grandi dans un milieu violent ( en termes de ségrégation ) et il est normal qu'ils voient du racisme partout. Car il est vraiment partout. Mais on  ne peut pas se laisser définir tous les jours par ce racisme. C'est comme si, en tant que femme, vous vous laissiez définir tous les jours par le fait que vous êtes une femme. Vous ne pouvez rien faire d'autre, vous ne pouvez pas être journaliste dans votre tête, vous ne pouvez pas être poète, skieur ou conducteur de métro, parce que, tout le temps, vous êtes préoccupée par le regard qu'on jette sur vous. Avec mes collègues noirs américains, par ma distance avec cette réalité, je pouvais leur dire de se méfier de cette mise sous tension permanente. Car le racisme est aussi un piège pour celui qui en est victime au quotidien. Cela finit par prendre beaucoup de place dans le cerveau, alors que celui qui vient juste de vous insulter( consciemment, ou pire, inconsciemment ) va pouvoir continuer sa journée dans l'insouciance... Aujourd'hui la chose est mieux connue, c'est cette espèce de racisme silencieux, qui ne dit pas son nom, de micro-racisme, ces moments où l'autre ne voit même pas qu'il a commis un acte ou une réflexion raciste, mais, vous, vous avez pris ça de plein fouet et vous restez toute la journée avec cette micro-agression. Et l'autre n'est même pas au courant. Donc, si vous passez vos journées à subir des micro-agressions et que lea autres s'en foutent, au bout d'un moment, vous plongez. Il faut trouver une parade à ça. Baldwin, c'est là son incroyable force, retourne le miroir vers celui qui agresse. Il dit : le problème c'est vous, ce n'est pas moi. Moi, je n'ai aucun problème avec ma tête, avec ma couleur, avec qui je suis. C'est votre regard le problème. Donc essayez de savoir pourquoi vous avez ce regard et d'où il vient, et surtout pourquoi vous en avez besoin. Baldwin dit à l'Amérique : pourquoi avez-vous eu besoin d'inventer le nègre ? C'est votre conscience, débrouillez-vous avec... C'est extrêmement libérateur... En France, il y a un tel déni de la question de couleur, de la question de race, de la question du racisme, comme si la République, une fois pour toutes, avait résolu ces problèmes et que le résidus n'étaient que des accidents. Non, c'est plus grave que ça...Chacun sa culture, chacun son mode de gestion des conflits. En France, il y a des films qui ne me font pas rire ( Agathe Cléry ) mais qui font rire une partie du public français. Ces films, si on les avaient tourné aux États-Unis, les salles de cinéma seraient boycottées ! Ils n'auraient pas pu être distribués. Il est facile de regarder vers les États-Unis, où les Noirs sont violents, où les policiers tuent les jeunes Noirs, mais aussi absurde que cela paraisse, il y a un certain nombre de règles et de limites. Tandis qu'ici on fait passer des choses sur le ton de la camaraderie : " Allez, ne te vexe pas ! C'est une blague. " Aux États-Unis, ça déboucherait sur une paire de claques parce que c'est inacceptable. En France, on sous-estime la colère qui existe dans le cœur de beaucoup de français qui sont nés ici, mais qui ont également une autre identité. Lorsque le lieu où vous êtes né semble ne pas vous octroyer les mêmes droits de citoyen, cela peut sérieusement vous ébranler.Chaque fois qu'une banlieue ou une partie du territoire se révolte, brûle des voitures, on prend quelques petites mesures, on met un peu d'argent et on a la paix pour un, deux ou trois ans. Mais le problème n'est pas réglé. Je suis plutôt inquiet pour l'avenir de cette ..société parce qu'elle est devenue tellement aveugle... Pendant ce temps, on ne prend pas le recul pour regarder où on en est aujourd'hui, et vers quoi on va...

 

Raoul Peck extrait d'un entretien sur France Culture diffusé du 27 au 31/08/2018 retranscrit dans la revue Papiers n°26, Octobre Décembre 2018

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18 mai 2018 5 18 /05 /mai /2018 17:51

" Et puis j'ai découvert le pouvoir des mots. J'en ai eu la révélation un jour à la table familiale où, si je révélais à tous que mon cousin trompait sa femme, c'était la crise générale. Les mots pouvaient être une rafale de mitraillette. J'ai donc commencé à noircir mes premiers cahiers.

Quand j'écris le monologue du fils juif lors du repas de famille de Tous des oiseaux, où celui-ci, étudiant à Berlin et amoureux d'une jeune Marocaine, s'adresse à ses parents venus le voir depuis Israël, j'y mets une charge radicale. A l'acteur, je dis toujours qu'il doit avaler une kalachnikov et mettre la salle dans un état épouvantable. Idem pour le personnage de la jeune femme assumant enfin ses origines arabes. Ces scènes-là doivent exploser en mots dans l'esprit du public... Et si un spectateur plein de haine écoute ces textes trempés  dans la colère, je crois possible - si c'est bien fait - qu'il s'oublie lui-même. Happé par l'acteur, il sera obligé de reconnaître que quelque chose venu de l'autre a coïncidé avec sa propre haine. Une fissure se produira... C'est grâce à l'incarnation radicale de la parole, via le corps des comédiens, que l'étincelle peut avoir lieu...

 

  Enfant,  j'avais une immense capacité à aimer. J'étais très gros, comme les pingouins mâles qui tout l'été s'empiffrent pour couver leurs œufs, l'hiver, face au grand vent. Petit à petit, ma bonté a fondu comme la graisse des pingouins ! De temps en temps, je me nourris de rencontres avec les autres et du sentiment soudain de ne pas être un être humain solitaire. Je cherche partout : dans la rue, dans le métro, dans l'avion... Tout à coup, un inconnu exprime quelque chose. Il ouvre une conversation qui engage et interroge notre humanité. L'esprit, ainsi activé, invente et ne se cantonne pas dans le connu par peur de ne pas séduire ou de ne pas être en sécurité..."

 

Wajdi Mouawad : extrait d'entretien pour Télérama 3560, du 4/04/2018.

 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Wajdi_Mouawad

Photo credit: pilllpat (agence eureka) on Visual Hunt /  CC BY-SA

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6 mars 2018 2 06 /03 /mars /2018 18:22

" Au Tchad, nous accueillons quatre cent mille réfugiés venus de la République centrafricaine. L'État est trop pauvre pour les prendre en charge financièrement - ce sont les Nations unies qui apportent des moyens -, mais on leur ouvre un espace qu'ils peuvent occuper, gratuitement. Ils ont une place à table. C'est le fondement de la société : faire une place à l'Autre. Dans mon film ( Une saison en France, ndlr) un personnage évoque la conférence d'Évian, en 1938 : il s'agissait d'accueillir les Juifs qui fuyaient le nazisme, et tous les pays ont refusé, comme le raconte le livre de Raphael Delpard La Conférence de la honte.* La question est de savoir si, quatre-vingt ans plus tard, on a évolué. On a le sentiment que la politique d'accueil des réfugiés en Europe n'a pas changé. Alors même que les mouvements de population ne vont pas s'arrêter."

Mahamat-Saleh Haroun, entretien pour Télérama 3551, du 31/01/2018

*Éditions Michalon

https://fr.wikipedia.org/wiki/Mahamat_Saleh_Haroun

Photo credit: WIPO|OMPIonVisualHunt/CC BY-NC-ND

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3 juin 2017 6 03 /06 /juin /2017 09:27

" Au Cambodge, je garde dans mon bureau une cuillère identique à celle que j'ai utilisée pendant quatre ans, de 1975 à 1979, dans un camp de rééducation. Elle me rappelle la solidarité qui existait dans nôtre groupe. Nous étions quatre, dont un enfant, et nous mettions en commun nos rations pour qu'il mange suffisamment. Mais la contenance de ma cuillère était supérieure d'au moins 30% à la sienne. Il a donc fallu calculer combien de cuillerées chacun pouvait avaler pour nous alimenter équitablement. Cette forme de solidarité nous a sauvés. Chaque fois que cette cuillère me tombe sous les yeux, je me remémore les trois autres garçons du groupe, qui sont peut-être morts mais ont su rester digne face à la difficulté. Les objets sont parfois beaucoup plus que ce qu'ils paraissent. Dans le camp, lorsque certains mourraient et que les corps étaient emportés pour être jetés dans une fosse, tout ce qu'on pouvait faire, c'était couper une mèche de cheveux avec l'idée de la remettre un jour, peut-être, à la famille. Ou arracher un bouton de chemise. Dans le film, le personnage compte des boutons. Peu importe, si l'on ne comprend pas qu'il compte des morts. On n'est pas obligé de tout comprendre...

   C'est un exil intérieur, qui a précédé l'exil physique de mon départ pour la France. On ne mesure pas ce qu'implique le fait de partir. On ne se rend pas compte qu'il ne s'agit pas d'un choix, et qu'une fois exilé on l'est pour toujours. La légèreté avec laquelle on parle de ces gens qui risquent leur vie sur de petits bateaux m'est insupportable. Comme la façon dont on les traite..."

 

Rithy Panh, extrait d'entretien pour Télérama 3516 du 31/05/2017.

https://www.telerama.fr/festival-de-cannes/2016/exil-de-rithy-panh-la-si-belle-presence-de-l-absence,142347.php

 

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2 octobre 2015 5 02 /10 /octobre /2015 17:38

" Ce qui me pèse aujourd'hui, c'est que le monde capte si mal les différences entre l'infiniment mauvais et l'infiniment bien. Qu'on traite de la même manière l'acteur qui réalise une performance extraordinaire et celui qui joue dans un film sans intérêt. On a oublié toute perspective. Aujourd'hui, on est connu ou pas connu, people ou pas people, bankable ou pas bankable. Et qu'on soit bankable parce qu'on s'appelle Afflelou ou Picasso n'a plus aucune importance. On a sa table dans les meilleurs restaurants. Evidemment, à chaque fois qu'on énonce ce genre de propos, on risque le malentendu. Marguerite Duras a eu un jour une expression superbe. Pour qualifier un livre qu'elle appréciait sans le trouver pour autant renversant, elle a dit : " Il est formidable ce livre, mais il ne prend pas le large. "  Et bien voilà, il y a des œuvres qui prennent le large et d'autres pas. Des individus qui prennent le large et d'autres pas. Tout ne se vaut pas "

Vincent Lindon. Extrait d'un entretien donné  dans le n°7 du magazine XXI, eté 2009

https://www.revue21.fr/

https://www.mylittlebuzz.com/ouvelle-revue-xxi-comme-xxieme-siecle-532.html

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17 janvier 2015 6 17 /01 /janvier /2015 11:11

 

" Je crois à la démocratie. En même temps je crois que c'est très difficile de l'imposer, surtout aujourd'hui, compte tenu de la crise politique dans laquelle le monde baigne. Mais la pensée est la démocratie. Penser, raisonner, tenter de comprendre, constituent de grands actes d'affirmation de la démocratie."

Francesco Risi interview pour Charlie Hebdo en 2007.

relevé dans le dernier n° de Charlie ( 1178 14/01/2015) sous la plume de Jean-Baptiste Thoret

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20 avril 2010 2 20 /04 /avril /2010 17:10

" J'ai fait ce film ( 8 fois debout ) au moment de l'exaltation sans nuance de la valeur travail : avoir une identité, c'était avoir un travail. Or pour beaucoup de gens, le travail - comme le chômage - est subi. J'avais envie de personnages qui ne parviennent pas à s'identifier par le travail.Denis Podalydès lâche, lors d'un entretien d'embauche, que travailler n'était pas une évidence pour lui. Il dit aussi que le doute a sa place dans l'entreprise et qu'il faudrait payer quelqu'un pour douter... Bien sûr, c'est énorme, c'est kamikaze, mais il y a une part de vérité. Moi, je me dis que j'aurais pu être employé là : au bureau du doute. "

 

Xabi Molia, réalisateur du film 8 fois debout, dans un entretien pour Télérama n° 3144 du 14 avril 2010

 

 

 

 

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31 juillet 2009 5 31 /07 /juillet /2009 17:12

Bernard Giraudeau :

" Accepter la mer, c'est une évidence. Je n'aime pas le mot combattre. Combattre la mer n'a pa de sens. On ne la combat pas plus que la maladie. On est avec elle dans un rapport de reconnaissance : elle est la maîtresse. Même quand on a survécu à une tempête. Un jour, je suis revenu d'une course La Trinité-La Rochelle, effectuée dans des conditions épouvantables, mon coéquipier et moi saignions de partout. On n'a pas gagné, on a simplement manoeuvré de manière à ce que la mer accepte de nous ramener jusqu'au quai. "

Eric Orsenna :

" L'acceptation, c'est capital ! J'ai vaincu l'Everest disent certains. Mais l'Everest est toujours là , et celui qui l'a vaincu, il est mort. Le combat, c'est imbécile !..."

Interview croisée dans Télérama n° 3104 du 11 juillet 2009

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27 avril 2009 1 27 /04 /avril /2009 18:01

" La mélancolie est grise. Entre la tristesse et le souvenir d'un bonheur "

François Ozon : entretien dans Transfuges  n° 27 février 2009

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12 janvier 2009 1 12 /01 /janvier /2009 19:35
Abdellah Taïa lisant l'un de ses propres romans à l'Internationell Författarscen (International Writers 'Stage) à Kulturhuset à Stockholm. Photographe: Håkan Lindquist

" Je n'aime pas la langue française. Depuis toujours. Depuis moi au tout début. L'enfance. L'injustice déjà. Chez mon oncle. Le frère de mon père. Grand. Fort. Maigre. Jaune. Traître. Il a tout pris. Tout l'héritage. Il a dit à Mohamed, mon père : " On n'a pas le même sang ; tu es le fils du pêché... Notre mère t'as eu avec un autre homme. On n'est pas du même père. Tu comprends ? " Mohamed, toute sa vie, n'a jamais compris, rien compris. Il est resté dans le choc. Tout perdre. La mémoire. Le frère. Le lien. Le nom. L'avenir. On l'a jeté dans le doute. Le doute éternel. Il y est resté. Il nous l'a transmis. A nous, ses enfants. A moi surtout. Le doute de sa propre existence. Le doute la tête baissée, le dos courbé, les mains sur les joues, dans la mélancolie, dans le noir et le sexe brûlant.
  Non, vraiment, je n'aime pas la langue française. Les cousines, les filles mauvaises de l'oncle jaune, disaient devant nous, devant moi petit, 5-6 ans, des mots dans cette langue étrangère, pas à moi, jamais à moi, pour marquer ce qui nous séparait.. Elles étaient belles, des héroînes de films égyptiens. Elles fumaient. Elles faisaient l'amour libre. Elles étaient cruelles. Avaient des yeux petits, très petits. Qui me faisaient peur. Peur. Aujourd'hui encore j'ai peur de ces yeux, de leur lumière, des phrases françaises qu'ils soulignaient. Des phrases assassines. Des insultes. Du racisme. Riches. Pauvres.
  Je n'avais pas le choix.
  Il fallait choisir son camp.
  Alors, devant une photo en noir et blanc d'Omar Sharif beau, beau, beau chrétien devenu musulman pour épouser la star égyptienne Faten Hanama, je l'ai juré, crié. " Le français, jamais. JAMAIS; "
  C'était la guerre... "

Abdellah Taïa :
" autoportrait " Transfuges n° 21 ( mai-juin 2008 )

 

 

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  • : Le Lecturamak
  • : "Nous serions pires que ce que nous sommes sans les bons livres que nous avons lus ; nous serions plus conformistes, moins inquiets, moins insoumis, et l'esprit critique, moteur du progrès, n'existerait même pas. Tout comme écrire, lire c'est protester contre les insuffisances de la vie." Mario Vargas Llosa. Discours du Prix Nobel" Je pense que nous n'avons pas de meilleure aide que les livres pour comprendre la vie. Les bons livres, en particulier. C'est la raison pour laquelle je lis : pour comprendre de quelle façon je dois vivre, et découvrir qui sont les autres, dans le secret d'eux-mêmes " Benjamin Markovits : extrait d'entretien pour Transfuges n° 31 juin-juillet 2009
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