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13 juillet 2022 3 13 /07 /juillet /2022 22:50

 

Claudio Magris

" Une fois de plus, la Trieste bourgeoise, fascisante, collaborationniste par vocation même quand elle ne peut pas collaborer, a débarbouillé et remaquillé son visage. Rien que des gens respectables ; il n'y a guère d'autres villes en Italie où des industriels, des financiers, des armateurs, des banquiers se soient affichés aussi explicitement, je dirais instinctivement - mais prudemment, aussi, bien sûr - au côté des fascistes et même, quand il l'a fallu, des nazis. Tout en lâchant aussi quelque chose, et plus que quelque chose, à la Résistance, on ne sait jamais.

   " Mais est-ce que vous avez lu le témoignage si ému, pauvre naïf, de ce jeune homme qui avait été cueilli dans la rue par les nazis après l'attentat du mess du Deutsches Soldatenheim et qu'on avait envoyé au siège de la Gestapo ? Lui aussi, il aurait probablement fini pendu dans la rue Ghega avec les cinquante et un autres si, précisément à ce moment, par chance, n'était entré le vieux baron Wenck, conseiller de la Compagnie de navigation Silba, qui venait voir son ami Stulz, son ancien condisciple à Munich, présentement capitaine de la Gestapo. Alors qu'on poussait le jeune homme menotté dans un réduit, le baron est passé devant lui, l'a reconnu - car peu de temps auparavant il avait travaillé comme jardinier dans sa villa -, il s'est ému, lui a promis de l'aider et, en effet, il a parlé à Stulz et le pauvre diable a été relâché. Il lui en a été reconnaissant toute sa vie, ça se comprend, mais ne trouvez-vous pas inquiétant qu'un des patrons de la navigation à vapeur à Trieste ait été suffisamment proche de la Gestapo pour détenir le pouvoir de faire libérer un malheureux vraisemblablement destiné à la torture et au gibet ?

   " Le baron a vécu encore de nombreuses années, influent respecté et à l'aise aussi bien dans le Territoire libre que dans la République italienne comme dans sa jeunesse il l'avait été dans l'empire hasbourgeois, et avec lui ceux qui gravitaient dans le même cercle, les gens qui comptent à Trieste et qui ont lavé leur linge sale dans le Canal. Ils ont même fini par faire disparaître la Rizerie

Image du principal édifice du camp de la Risiera di San Sabba, où se trouvait le four crématoire
Image du principal édifice du camp de la Risiera di San Sabba, où se trouvait le four crématoire

- personne n'en parlait plus, même pas les antifascistes, personne n'était au courant, et pourtant c'était le seul four crématoire qui ait existé en Italie et personne, vraiment personne, n'en savait rien, c'est cela qui est tragique, ils étaient parvenus à effacer cette vérité, cette réalité... Même le 25 avril, dans les cérémonies officielles, on n'en parlait pas. On a fini par célébrer des anniversaires, par organiser des commémorations, mais très tardivement. Des cérémonies, des conférences, c'était bien le moins qu'on puisse faire, mais il a fallu attendre le procès pour savoir, pour prendre conscience que nous savions que des choses horribles s'étaient passé chez nous, sous notre nez, et que c'était aussi notre affaire... "

 

Claudio Magris : extrait de "Classé sans suite", Éditions Gallimard, collection L'Arpenteur, 2017, pour la traduction française.

 

Du même auteur, dans Le Lecturamak : 

 

 

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3 mars 2020 2 03 /03 /mars /2020 18:31
Kamel Daoud par Claude Truong-Ngoc, janvier 2015
Kamel Daoud par C. Truong-Ngoc,2015

Une religion, c'est un livre qui a bien marché" La boutade d'un ancien ami algérois résume, je pense, le rêve ultime de tout éditeur, de tout écrivain ; l'explication brève de nos monothéismes, mais pas seulement. On peut l'inverser et défendre l'idée qu"un bon livre devient aussi une sorte de religion. Du moins pour l'individu qui y retrouve une voix, des personnages et la joie d'être un Dieu qu'on dérange peu.

   Cette plaisanterie qui n'en est pas une m'avait frappé par sa justesse. Elle rejoignait mon étonnement ancien, de l'époque de l'adolescence, à propos du "Livre sacré". Comment pouvait-on soutenir que Dieu était éternel, que son univers crée était infini, mais qu'il avait écrit un livre fini, dans un langage au nombre de mots fini ? Cela heurtait soit mon bon sens, soit l'idée que je me faisais de l'art d'être un Dieu.

   Cependant, je l'avoue, c'est avec un Livre sacré que je me suis familiarisé avec la notion d'universalité. Il était dit que le recueil de versets était valable pour tous les temps et routes les époques. Le lecteur en moi s'en trouvait alors rassuré, mais aussi désespéré. Si tout avait été dit, pourquoi écrire encore ? Et si tout y était dit, quel échec était donc ma vie puisque je ne parvenais pas à comprendre ce livre définitivement ?

L'herméneutique était d'un désespérant infini et l'interprétation était un arbitraire. En somme, j'avais le résumé du monde dans la main, mais dans une langue que je ne maîtrisais pas. Cela vaut la posologie d'un médicament qui n'existe pas, rédigé dans une langue morte depuis longtemps.
   L'idée d'universalité, c'est-a-dire d'un récit du monde qui soit à la fois un voyage et un univers dont j'étais le héros, et pas Dieu, c'est la littérature qui a fini par m'en convaincre ; lire assurait plus d'infini que prier. Je ne pouvais choisir l'histoire de mon pays de naissance, mais je pouvais choisir l'histoire du monde. Est-ce important ? Oui, ce fut même vital. Quand il arrive que vous veniez au monde dans un pays où l'histoire du passé est close par le récit religieux et celui de la décolonisation, le monde devient étouffant. Dans le récit religieux, le corps est une impureté, un obstacle. Dans le récit de la décolonisation, le corps est une torture, un cadavre. Dans le récit du monde par la littérature, le corps est une joie, une réincarnation ludique, l'exploit toujours renouvelé. Cela orienta un peu mes goûts et j'ai opté pour la jouissance plutôt que pour la culpabilité. J'ai donc appris à lire avec passion, et l'idée de l'universalité était une forme du bonheur. La littérature, le roman avaient la primauté sur le récit national ou religieux.

   Ma conclusion, maintenant ancienne et solide, est que le roman est un livre sacré, encore plus dans et par sa multiplicité, son pluriel, qui prend de la puissance depuis deux ou trois siècles. Il n'exige ni la mort, ni la contrition, ni le martyre, ni la repentance. La bibliothèque est le contraire du temps, et son infini est plus heureux que l'éternité. J'en suis venu à adorer l'enfer des bibliothèques. Comme pour mieux me passer du paradis. Quand je vins à Paris pour la première fois de ma vie, je connus un dernier épisode de désespoir bref : je pouvais , dans cette ville, acheter tous les livres dont je rêvais mais je ne pouvais pas tout lire, définitivement. Ce constat introduisit un doute : si je ne pouvais pas tout lire, pourquoi lire encore ? Il m'a fallu du temps pour dissocier l'érudition comme fantasme de la lecture comme plaisir.

   Ce que je veux vous dire, c'est que je gardais de la méfiance envers les livres uniques. Je veux dire le Livre unique. À cause de lui, les morts sont plus nombreux que les lecteurs. On lui doit quelques extases, mais peu de plaisirs et presque aucune évasion...

 

Kamel Daoud : extrait d'une chronique, pour le magazine Books n° 96, Avril 2019

 

Du même auteur dans Le Lecturamak :

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5 juin 2019 3 05 /06 /juin /2019 16:46
Boualem Sansal à la Haus der Berliner Festspiele lors d'un événement de la section Littérature internationale pour enfants et jeunes adultes du 16ème festival international de littérature de berlin le 7 septembre 2016
Boualem Sansal, 16ème festival international de littérature de Berlin le 7 septembre 2016, Christoph Rieger

L'histoire est celle d'un opuscule qui serait apparu à une époque indéterminée entre le XIe et XIIe siècle, que personne n'a jamais vu, dont l'auteur est à ce jour resté inconnu. C'est déjà très étrange. Ah, il y a encore ceci, on ne connaît pas le contenu du livre, ni dans quelle langue il est écrit, on ne sait rien de rien. C'est dur pour des gens comme nous qui fonctionnons sur des réalités immédiates pouvant êtres pesées, soupesées, disséquées, senties, goûtées, discutées. Ah, encore une lacune, nous ne connaissons pas le titre du livre. Ce serait pareil si on parlait du vide, nous n'aurions rien à dire, avouer nos infirmités tout au plus. En fait nous dirions beaucoup, et avec passion, car en l’occurrence il s'est trouvé quelqu'un, resté anonyme lui aussi, qui a révélé, à on ne sait qui, on ne sait quand, que l'ouvrage avait eu un titre et quel titre : Tractatus de tribus impostoribus :  Moyses, Iesus Christus, Mahometus, en langage moderne, Le traité des trois imposteurs : Moïse, Jésus-Christ, Mahomet.

   On comprend les dérobades accumulées tous ces siècles. En ces temps où l'Église et la Mosquée martyrisaient les peuples par le fer, le feu et le Saint-Esprit, l'affaire prit des proportions planétaires et mit en alerte rouge tous les rois de la chrétienté, tous les sultans de l'islam, tous les rabbins dispersés de par le monde jusqu'au Sanhédrin en sa sainte ville, la très convoitée Yerushaláyim, Jérusalem pour les chrétiens, El Qods pour les musulmans. Les hérétiques et les apostats n'en menaient pas large, trois religions du Dieu unique qui tempêtent en même temps, c'est tout le malheur du monde à la puissance neuf qui s'abat sur les innocents...

   L'affaire arriva chez le roi qui ordonna : " Je veux ce livre ! " Les barons agirent de même, partout en Europe. Puis ce furent des éditeurs, des libraires, des collectionneurs, des philosophes, des aventuriers, pour leur compte ou celui de leurs mandants. Et de là par effet cinétique, l'Europe entière en état de choc s'est trouvée huit siècles d'affilée prise dans le tourbillon du mystère. Chercher le De tribus impostoribus ou chercher le Graal, c'est pareil, l'effort est vain mais combien exaltant...

   Le fait que ce livre ait disparu des radars de notre époque ne veut pas dire que le dossier est clos, n'y croyez pas, l'eau ne dort jamais qu'en surface...

   L'Inquisition a travaillé d'arrache-pied, elle voulait un coupable et des complices, on lui en présentait tous les jours. Les encycliques se suivaient pressantes et coléreuses : "Invenietis sepens venenum exspuit ejus in domini nostri, " Chercher le serpent est un réflexe vieux comme le monde...

   Cette incroyable chronique autour d'un livre n'a pas duré que quelques mois, quelques années au plus, mais huit siècles entiers, et du Moyen Âge jusqu'à la Renaissance les journées étaient longues. Quel livre a fait mieux en matière de durée et de folie ? 

   À force d'imaginer les thèses que le mystérieux auteur aurait pu développer pour démontrer la fraude de Moïse, Jésus et Mahomet, les chercheurs ont en quelque sorte écrit le traité à sa place et, ce faisant, ils ont de manière incidente mis en évidence le mécanisme nodal qui fait l’imposture et l'imposteur, c'est la tendance naturelle de l'homme à croire à ce qui n'est pas crédible et celle du croyant qu'il devient à s'enfermer dans ses certitudes et à s'interdire par tous les moyens d'en sortir. Si le complot n'existe pas, on l'invente et on l'avale comme le poisson avale l'hameçon. Cette autocastration, souvent suivie de jeûnes hallucinatoires, le transforme en fou furieux et le pousse à se jeter sur le passant pour le subvertir ou l'occire. S'il en attrape beaucoup, il sera un grand fidèle et sa religion gagnera en force et en rayonnement. Le traité de la bêtise humaine face aux divines propositions de Moïse, Jésus et Mahomet  eût été un titre approprié, et œcuménique à souhait.

  De nos jours, alors que la richesse du monde ne cesse de croître, en même temps que le nombre de miséreux, nous sommes tenus de ménager tous les croyants, y compris ceux qui croient en n'importe quoi. Ceux qui ne croient en rien n'ont pas d'autre issue que de se mettre à croire en quelque chose, n'importe quoi, pour obtenir attention et respect ; et de la sorte, quand chaque homme de cette planète sera un croyant confirmé, le chapitre de la pensée et des jeux de l'esprit libre sera clos. Pas d'innovation, pas d'antagonisme, pas de sédition...

 

Boualem Sansal  : extrait de " Le train d'Erlingen, ou la métamorphose de Dieu"  Gallimard, 2018

 

 

  

 

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4 janvier 2018 4 04 /01 /janvier /2018 19:03

Liberté : à distinguer de libération. On n'est pas libre parce qu'on vous le dit, mais seulement lorsque vous le dites vous-même, à vous-même. La liberté à un prix, sinon la vie est gratuite. Vous êtes libre quand vous êtes prêt à en mourir et non lorsque d'autres sont morts à votre place avant que vous ne soyez né.

  Manifester : ce n'est pas casser, c'est briser. On casse une vitrine mais on brise ses chaînes.

 Réformes : c'est la manière dont on use pour vous enlever le pantalon en vous caressant les cheveux.

La peur : c'est le signe que vous êtes vivant. Si vous n'avez pas peur, cela veut dire que vous n'êtes pas vivant et que donc vous ne pouvez pas donner la vie à ceux qui suivent dans vos entrailles. Pendant la révolution, le dictateur vous frappera souvent. De plus en plus. C'est le signe qu'il a de plus en plus peur. Songez à ça. La peur c'est quand on croît que le courage est inutile. Et ce n'est pas le cas quand vous voulez mieux vivre.

  Le chaos : c'est un monstre de papier. On ne peut pas avoir une maison si on n'a pas un pays. et on n'a pas une maison si elle est bâtie par l'index de votre roi. La révolution, c'est le chaos ? Oui. Car le chaos est ce qui précède la reconstruction. 

  Les islamistes : c'est un gaz qui a une barbe. Le ciel est à celui qui lève les yeux, pas à celui qui s'y soumet. Dieu n'a pas de corps , ni de mains, ni un kami, ni un chef de cabinet. Méfiez-vous des voyages organisés vers les cieux : Dieu est comme la mort ou la naissance, c'est l'affaire de votre unique solitude et personne ne peut le rencontrer à votre place. Ni lui parler avec une procuration.

   Élections : votez, n'acquiescez pas. On vote avec les mains pas avec un soupir de désespoir. C'est votre droit, pas votre jour férié. Cela ne sert à rien ? Cela veut dire que pour le moment vous servez le pire.

  Président : c'est un homme que vous payez pour s'occuper du pays pendant que vous vous occupez de vos enfants. S'il fait mal son boulot, changez-en. C'est votre droit : vous avez droit à une seule femme mais à quatre présidents. Le contraire est une ruse.

   Les "services" : ils ne sont pas mieux que vous, mais peuvent être pires. Demandez-leur des comptes, des noms et pas des pseudos. Plus il y a de voitures banalisées, plus les vies le sont aussi. Méfiez vous de la sécurité d'État, ce n'est pas la vôtre. Le policier est votre employé, pas le contraire. Vous êtes plus nombreux mais ils sont plus organisés : inversez la tendance..."

 

Kamel Daoud : extrait de "Mes indépendances, chroniques 2010-2016", Actes Sud, 2017

 

 

Photo by ActuaLitté on Visual Hunt / CC BY-SA

   

 

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19 février 2016 5 19 /02 /février /2016 18:05

"... Au terme du voyage, Ati retrouva Toz dans une vaste salle vide. Celui-ci lui en expliqua la symbolique : Ati était entré dans le musée par une pièce vide, il en ressortait par une pièce vide, c'était l'image de la vie prise entre deux néants, le néant d'avant la création et le néant d'après la mort. La vie est contrainte aux bornes, elle ne dispose que de son temps, bref, découpé en tranches sans liens entre elles sinon ceux que l'homme trimbale en lui d'un bout à l'autre du bail, des souvenirs incertains de ce qui fut et des attentes vagues de ce qui sera. Le passage de l'une à l'autre n'est pas explicité, c'est le mystère, un jour le beau bébé dormeur invétéré disparaît, chose qui n'alarme personne, et un petit enfant turbulent et curieux, un farfadet, apparait à la place, ce qui ne surprend guère la maman qui se retrouve avec deux seins lourds inutiles. Plus avant interviendront d'autres substitutions aussi subreptices, un bonhomme épaissi et soucieux remplacera au pied levé le jeune homme svelte et souriant qui se tenait là, et à son tour par on ne sait quel tour de passe-passe le bougre migraineux cèdera le siège à un homme voûté et taciturne. C'est à la fin qu'on s'étonne, quand un mort encore tout chaud remplace subitement le vieillard mutique,et froid cloué dans sa chaise devant la fenêtre. C'est la transformation de trop, parfois bienvenue cependant.

" La vie passe si vite qu'on ne voit rien", se dira-t-on sur le chemin du cimetière..."

Boualem Sansal : extrait de "2084, la fin du monde" Gallimard 2015

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29 novembre 2013 5 29 /11 /novembre /2013 20:06

 

" Elle était debout à l'entrée de Birkenau. Une vieille toute menue, les jambes un peu arquées, elle portait son sac au creux du coude et sur la tête un petit chapeau ridicule. Son manteau était lustré, il avait beaucoup servi. Elle était seule. Elle fixait quelque chose devant ses pieds, ne bougeait pas. On aurait pu la prendre pour une vieille employée de maison qui attend le premier bus du matin dans une banlieue livide balayée par les vents. Elle a tourné la tête à droite, à gauche, puis elle s'est retournée et a longuement regardé les rails qui se perdent à l'horizon, le terre-plein de part et d'autre, le ciel emmitouflé dans ses gros nuages, avant de revenir se focaliser sur le bâtiment et sa tour de garde. Elle en a examiné tous les détails. J'ai senti que quelque chose criait en elle, elle était toute crispée devant cette frontière que l'on traversait pour mourir. Elle s'est enhardie et s'est avancée sous le porche et, là, elle s'est arrêtée net, je crois même que sa respiration s'est bloquée. Sa tête tournait dans tous les sens, comme actionnée par un mécanisme déréglé. Elle était dans la peur, la vraie grande peur d'Auschwitz. J'étais fasciné par ce ballet étrange et pitoyable, dans ce théâtre de laideurs, par ce temps qui ne laissait place qu'à la tristesse et au silence. J'ai deviné qu'elle fouillait sa mémoire, elle cherchait des signes, des repères. Des souvenirs. Elle réfléchissait. Je dirais qu'elle ressentait les choses de l'intérieur, le Mal et ses mystères dispersés dans le temps, dans sa tête, elle était comme un animal qui d'instinct ressent les vibrations de lointains bouleversements et commence à paniquer. Mais elle, elle ne bougeait pas, ne bougeait plus, elle donnait l'impression qu'elle pouvait rester ainsi définitivement, à attendre. A un moment, elle a frissonné, et comme décidée à affronter sa peine, elle est entrée dans le camp, a avancé d'un pas et s'est de nouveau arrêtée. Elle a balayé le site, puis elle a pris sur la droite et s'est avancée à petit pas, tête baissée. Elle était passée dans un autre monde, ce monde que je connais si bien sur papier que je pourrais la guider et dire par avance ses réactions. J'avais compris qu'elle avait séjourné dans ce lieu maudit. Pourquoi, je ne sais, j'ai vu en, elle une étoile dans mon ciel noir. Je l"ai suivie...

Boualem Sansal : extrait de " Le village de l'allemand ou le journal des frères Schiller " Gallimard 2008

https://fr.wikipedia.org/wiki/Boualem_Sansal

https://www.telerama.fr/livres/le-village-de-lallemand-ou-le-journal-des-freres-schiller,24009.php

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26 mai 2010 3 26 /05 /mai /2010 18:32

-" Je t'aime bien, Ach. Sauf que Ben Adam, il me plaît aussi. Il a des tas d'histoires, et ça me botte, les histoires. Il a connu la guerre, les rois, les riches... Il a même été plusieurs gens à la fois.

- Qu'as-tu fais de mes histoires à moi ? Et de mes chansons ? Et de mes conseils fraternels et pratiques ? Tu étais content quand tu jouais du tambourin avec la bouche pendant que je te sortais des tubes du tonnerre.

- Oui, sauf que je les connais par cœur, tes histoires. Elles sont anciennes et elles changent pas. Ben Adam, il te raconte jamais la même chose. Et puis, y a pas que ça. Ben Adam, il dit des trucs qui te font du bien. Par exemple, il dit que c'est facile de se reconstruire. Je vois pas le rapport avec nous et les maisons, mais ça te fait plaisir d'entendre ça. Il dit que le terrain vague, c'est naze. J'suis pas obligé de le croire, mais ça te change de ce qu'on te bassine depuis des années. Il dit qu'un homme doit se relever quand il tombe. Bien sûr que c'est idiot. Quand je glisse, je me relève. C'est naturel. Mais il le dit avec tellement de panache qu'on passe l'éponge sur le ridicule. Et puis, est-ce que tu sais ce qu'est une femme, Ach ? Eh bien, lui, il  sait. Et s'il n'a rien voulu me dire, c'est parce que c'est à moi, et à moi seul, de trouver la réponse. Et quand j'aurai la réponse, j'aurai tout compris.

- Tu auras compris quoi ?

- Comment le savoir puisque j'ai pas encore la réponse. "

 

Yasmina Khadra : extrait de " L'Olympe des infortunes " Julliard 2010

 

 

 

 

 

 

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23 avril 2010 5 23 /04 /avril /2010 18:45

" Les terres afghanes ne sont que champs de bataille, arènes et cimetières. Les prières s'émiettent dans la furie des mitrailles, les loups hurlent chaque soir à la mort, et le vent, lorsqu'il se lève, livre la complainte des mendiants au croassement des corbeaux...

Plus rien ne sera comme avant, semblent dire les routes crevassées, les collines teigneuses, l'horizon chauffé à blanc et le cliquetis des culasses. La ruine des remparts a atteint les âmes. La poussière a terrassé les vergers, aveuglé les regards et cimenté les esprits. Par endroits, le bourdonnement des mouches et la puanteur des bêtes crevées ajoutent à la désolation quelque chose d'irréversible. On dirait que le monde est en train de pourrir, que sa gangrène a choisi de se développer à partir d'ici, dans le Pashtoun, tandis que la désertification poursuit ses implacables reptations à travers la conscience des hommes et leurs mentalités. "

 

Yasmina Khadra : extrait de Les hirondelles de Kaboul Julliard, 2002

 

 

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20 mars 2008 4 20 /03 /mars /2008 19:01

" Dans ma vie, je n'ai rencontré de grandeur, la vraie, que dans le gravissime. Grandeur, pour moi, a une

l'écrivain Yasmina Khadra à Vilnius (Lituanie)
Yasmina Khadra

résonance tragique, sinon fallacieuse. Car tout est drame ou hypocrisie. Le monde repose sur le premier et survit grâce au second. Aimer est drame lorsqu'il n'est pas partagé ou hypocrisie quand il prétend se donner en entier. L'arrogance est hypocrisie quand elle n'est que devanture et drame lorsqu'on en a cure; le coq a beau se pavaner sur ses ergots et rabattre son cimier sur le bec avec désinvolture, il enviera le corbeau chaque fois que ce dernier prendra son envol. Haïr est drame quand il se légitime et hypocrisie lorsqu'il rejette sur autrui le peu d'estime que l'on a pour soi. De deux maux, on choisit le moindre. ..."

 

Yasmina Khadra : " L'écrivain "

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17 mars 2008 1 17 /03 /mars /2008 19:05

"  Je regardais la buée transpirer sur la vitre, boursouflant d'ecchymoses le reflet de mon visage. Mes yeux pouvaient toujours s'accrocher aux cyprès, aux tertres, aux rivières, aux ponts, aux palissades, ils ne les empêcheraient pas de s'éloigner. Les yeux n'ont que leurs larmes à retenir..."

Yasmina Khadra  : " L'écrivain "

culture.revolution.free.fr/critiques/Yasmina_Khadra-L_Ecrivain.html

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  • : Le Lecturamak
  • : "Nous serions pires que ce que nous sommes sans les bons livres que nous avons lus ; nous serions plus conformistes, moins inquiets, moins insoumis, et l'esprit critique, moteur du progrès, n'existerait même pas. Tout comme écrire, lire c'est protester contre les insuffisances de la vie." Mario Vargas Llosa. Discours du Prix Nobel" Je pense que nous n'avons pas de meilleure aide que les livres pour comprendre la vie. Les bons livres, en particulier. C'est la raison pour laquelle je lis : pour comprendre de quelle façon je dois vivre, et découvrir qui sont les autres, dans le secret d'eux-mêmes " Benjamin Markovits : extrait d'entretien pour Transfuges n° 31 juin-juillet 2009
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