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13 avril 2022 3 13 /04 /avril /2022 19:04
Liu Cixin, 2015.

 

Luo Ji ne retourna pas à l’université, il alla directement consulter un psychologue.

   - Vous avez peut-être besoin d'adaptation, mais il n'y a rien de bien grave, lui confia le médecin après avoir entendu sa longue histoire.

   - Rien de grave ? Luo Ji écarquilla des yeux saturés de filets de sang. Je suis tombé fou amoureux d'un personnage de fiction que j'ai moi-même imaginé pour écrire un roman. Je vis avec elle, je voyage avec elle et je vais même me séparer pour elle de ma véritable copine. Et vous dites qu'il n'y a rien de grave ? 

   Le médecin lui adressa un sourire compatissant.

   - Vous comprenez ? J'ai offert mon amour à une illusion.

   - Croyez-vous que ceux que l'on aime existent réellement ?

   - Est-ce une vraie question ?

   - Bien sûr, l'objet de l'amour de la plupart des gens n'existe que dans leur imagination. Ce que l'on aime, ce n'est pas l'homme ou la femme de la réalité, mais celui ou celle qui naît dans notre imaginaire. Les amants réels ne sont que des modèles permettant de créer ceux que l'on rêve. Tôt ou tard, on finit de se rendre compte du fossé qui existe entre l'amour rêvé et son modèle. Quand on parvient à s'habituer à cette différence, on peut continuer à être ensemble, mais quand on échoue, on se sépare, c'est aussi simple que cela. Vous différez en un point avec la majorité des gens : vous n'avez pas besoin de modèle.

   - Ce n'est donc pas une pathologie ?  

   - (...) Vous avez un don pour la création littéraire, vous pouvez le qualifier de pathologique.

   - Mais n'est-ce pas démesuré de laisser l'imagination atteindre cette extrémité ?

   - Il n'y a rien de démesuré dans l'imagination, particulièrement quand il s'agit d'amour.

   - Mais que dois-je faire ? Comment puis-je l'oublier ?

   - C'est impossible. Vous ne pouvez pas l'oublier, il ne servirait à rien d'essayer. Cela provoquerait au contraire des effets secondaires, et pourrait même déboucher sur de véritables troubles psychologiques. Laissez la nature suivre son cours. Encore une fois, ne vous forcez pas à l'oublier, c'est inutile. Mais avec le temps, son influence sur votre vie sera moins grande. En réalité, vous êtes chanceux car, qu'elle existe ou non, pouvoir aimer est une chance..."

 

Liu Cixin : extrait de "La forêt sombre", Actes Sud, 2017.

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6 avril 2017 4 06 /04 /avril /2017 18:04

" Je pense que nous portons tous en nous la capacité de faire le mal. Selon la vie qui est la nôtre et les situations que nous aurons à traverser, nous la mettrons ou non en œuvre, intentionnellement ou pas. Mais nous sommes tous capables de la pire cruauté.

   Le personnage de Shaoai ( Plus doux que la solitude) est tiré de l'histoire de Zhu Ling, une étudiante de Pékin empoisonnée au thallium en 1995, après Tien'anmen. Quant à Un beau jour de printemps, il portait sur l'histoire vraie d'une fille du Hunan que son petit ami a dénoncée aux autorités en 1968 parce qu'elle avait émis des doutes à propos de la Révolution culturelle, et qui fut exécutée dans un stade municipal bondé. Ce sont deux faits divers qui ont marqué ma génération et font partie de la mémoire collective. Mais ce n'est pas l'horreur du crime ou le mystère entourant le coupable qui m'ont intéressée dans ces affaires ; c'est ce qu'avaient dû vivre les personnes impliquées. J'écris parce que je me sens concernée par la vie de ces gens. Je veux que ces anonymes importent au lecteur."

 

Yiyun Li : extraits d'entretien pour le magazine Books, Décembre 2015

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2 mars 2017 4 02 /03 /mars /2017 18:39

" Je fais une différence entre situations et histoire. L'histoire que vous trouvez dans les journaux ou les manuels scolaires n'est à mon sens qu'une suite de situations chronologiquement ordonnées. Elles sont simplifiées. Cette histoire-là, qu'on nous transmet, s'écrit à coups de dents, en tronçonnant des morceaux de réalité. À mon sens, le travail du romancier consiste à contester cela. Pour moi, la fiction est le meilleur outil pour interroger l'histoire qu'on nous enseigne. Parce qu'elle met l'humain au centre. La littérature permet de faire de l'histoire au plus près des gens qui l'ont vécue"

 

Yiyun Li : extraits d'entretien pour le magazine Books, Décembre 2015

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26 septembre 2012 3 26 /09 /septembre /2012 17:19

" Ce qui nous faisait souffrir, Sen, moi et bien d'autres Chinois revenus d'Occident, ainsi que de nombreux missionnaires en Chine, c'était notre conscience. Nombreux étions-nous à nous sentir coupables simplement parce que nous n'avions pas eu faim. Les épées de la famine n'avaient pas arraché notre chair de nos os et desséché notre ossature. Ce que nous entendions par nourriture, et ce qu'entendait le paysan pauvre, comportait une différence essentielle, animale, qui nous épouvantait et nous accablait de honte. Hors des profondeurs semi-conscientes de mon enfance montait le souvenir d'un wagon-restaurant où j'étais assise, dans un train qui traversait la plaine du Nord, de Pékin à Hankéou. Mes parents, ma sœur et moi étions autour d'une nappe blanche, et derrière la vitre il y avait la plaine complètement inondée, océan d'eau brunâtre. Çà et là le sommet d'un arbre, çà et là un toit. Sur ces toits des gens étaient assis... Puis les serveurs entrés, nous apportant le premier plat, et tout au long du repas copieux aux plats nombreux nous regardions par la fenêtre, tandis que le train filait à travers la plaine et que, sur les toits, des hommes environnés d'eau attendaient la mort...

 

Han Suyin : extrait de " Multiple splendeur " Editions Stock 1982

 

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  • : "Nous serions pires que ce que nous sommes sans les bons livres que nous avons lus ; nous serions plus conformistes, moins inquiets, moins insoumis, et l'esprit critique, moteur du progrès, n'existerait même pas. Tout comme écrire, lire c'est protester contre les insuffisances de la vie." Mario Vargas Llosa. Discours du Prix Nobel" Je pense que nous n'avons pas de meilleure aide que les livres pour comprendre la vie. Les bons livres, en particulier. C'est la raison pour laquelle je lis : pour comprendre de quelle façon je dois vivre, et découvrir qui sont les autres, dans le secret d'eux-mêmes " Benjamin Markovits : extrait d'entretien pour Transfuges n° 31 juin-juillet 2009
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