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5 juillet 2019 5 05 /07 /juillet /2019 13:22
art dans centre commercial, photo Yann Gar, 2012
art dans centre commercial, photo Yann Gar, 2012

Tout ce que nous voyons, portons, traversons a préalablement été esthétisé. Beaucoup n'y voient que du feu, mais derrière cette esthétisation tous azimuts, une guerre se déroule - contre le silence, l'attention, l'ennui, la rêverie -, une guerre dont l'objectif est de provoquer, de haut en bas de l'échelle sociale, une désensibilisation sans précédent.
  On ne vous laisse plus rêver, il faut occuper le temps, surtout le temps dit de loisir. La rêverie, c'est une sorte de friche, mais le centre commercial, lui, ne laisse aucune terre en friche... Certains pensent qu'on peut y flâner, mais tout est fait pour "diriger" le passant dans un "parcours client" ! On lui offre désormais un "parcours d'art", qui n'est ni une fenêtre ni un passage : l'objectif est de vous convaincre de ne pas aller dehors. Il faut faire partie du monde où il se passe toujours quelque chose, pour augmenter notre soumission à la marchandise, au moyen de l'aveuglement. Comme à Cagnes-sur -Mer, où l'on ne voit plus la mer. La mer, c'est trop fin , trop subtil comparé à ce qui se passe dans ces centres. 

L'art contemporain, une des branches les plus efficaces de l'optimisation fiscale, donc enjeu décisif de la haute finance, est devenu l'alibi culturel , prétendument libérateur, de cette désensibilisation. Celle-ci se manifeste d'abord dans le gigantisme des œuvres : il faut faire toujours plus monumental, offrir des sensations de plus en plus fortes ! Une invasion du monde sensible qui provoque la sidération. La désensibilisation aussi, à travers une esthétisation générale qui fait oublier que, pour continuer à consommer, il faut toujours plus dévaster - territoires, matières premières... Ainsi, il n'est pas anodin que l'art contemporain fasse une telle place au déchet, recyclé et exalté, y compris dans les œuvres sélectionnées dans les centres commerciaux. Car pour la première fois de l'histoire, notre monde, jusque-là assuré de maîtriser sa production de déchets, est menacé de périr de leur surproduction. D'où la férocité et la sophistication de l'entreprise, qui consiste à reconnaître la pléthore de déchets tout en l'exposant de la façon la plus spectaculaire, pour mieux occulter que leur surproduction menace l'avenir du monde.

  C'est ce que j'appelle le "réalisme-globaliste" : une entreprise artistique promue par les "vainqueurs" de l'économie, mais aussi par certains artistes "phares", qui tend à nous mettre en condition, voire à nous domestiquer. Il s'agit d'une nouvelle forme de totalitarisme, à portée internationale, qui se répand, quels que soient les régimes politiques, de la Chine aux Etats-Unis. dans quelle mesure les directeurs de musée, les artistes sont-ils conscients de ce processus ? beaucoup ne le sont pas. C'est que l'entreprise de colonisation des esprits a été efficace et que la liberté artistique, un des grands enjeux de l'art au moins jusqu'aux années 1960, est aujourd'hui prise en otage. En 1912, Arthur Cravan, poète et boxeur, avait eu cette phrase terrible : " dans la rue, on ne verra bientôt plus que des artistes et on aura toutes les peines du monde à trouver un homme." Le temps me semble venu de se poser la question : où va-t-on trouver les hommes maintenant ? "

Annie Le Brun, Télérama 3568, du 30/05/2018

https://fr.wikipedia.org/wiki/Annie_Le_Brun

https://www.babelio.com/auteur/Annie-Le-Brun/118087/citations

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  • : "Nous serions pires que ce que nous sommes sans les bons livres que nous avons lus ; nous serions plus conformistes, moins inquiets, moins insoumis, et l'esprit critique, moteur du progrès, n'existerait même pas. Tout comme écrire, lire c'est protester contre les insuffisances de la vie." Mario Vargas Llosa. Discours du Prix Nobel" Je pense que nous n'avons pas de meilleure aide que les livres pour comprendre la vie. Les bons livres, en particulier. C'est la raison pour laquelle je lis : pour comprendre de quelle façon je dois vivre, et découvrir qui sont les autres, dans le secret d'eux-mêmes " Benjamin Markovits : extrait d'entretien pour Transfuges n° 31 juin-juillet 2009
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