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4 septembre 2023 1 04 /09 /septembre /2023 17:47

 

L'écrivaine française Francoise Sagan en Italie, lors de sa lune de miel avec Robert Westhoff.
Francoise Sagan, 1962

Je ne peux plus boire d'alcool du tout. Ce n'est pas une question de volonté, mais de peur : si je bois de l'alcool je me roule par terre de douleur le lendemain. Une affaire de santé. On m'a enlevé le pancréas, je crois, une opération de ce genre. je ne bois donc plus, ce qui rend impossibles les boîtes de nuit bruyantes, les propos décousus... Je passe beaucoup plus de temps chez moi. Je me couche toujours très tard parce que la nuit reste mon terrain favori, je me promène, je vois des gens nouveaux, de temps en temps je travaille... Je me suis arrêtée de boire un petit peu avant le moment où la nuit aurait été trop cruelle. Mais il était temps... J'avais donc quarante ans. Je n'ai pas bu, évidemment, de zéro à vingt ans. J'ai bu de vingt à quarante. De quarante à soixante je ne pourrai plus boire. De soixante à quatre vingt-dix, si Dieu me prête vie, on fera des pancréas artificiels, et je serai une vieille dame indigne, alcoolique et débauchée. J'irai au Fémina insulter mes consœurs avec des hardes, une bouteille de rouge à la main, je crierai : "À bas Mallet-Joris ! À bas Duras ! "... On peut toujours rêver là-dessus

 

Françoise Sagan : extrait d'un entretien avec Jacques Jaubert, Magazine Lire n°42,février 1979,  recueil "Les grands entretiens de Lire", par Pierre Assouline, Éditions Omnibus, 2000. 

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27 février 2018 2 27 /02 /février /2018 18:22

" ...Je voulais écrire une nouvelle pour Jeanne, un texte qui parlerait d'elle, une belle histoire où elle serait belle et je n'y arrivais pas. J'avais toujours sa phrase dans la tête, toujours, elle me disait " ton problème, c'est que  tu écris pour boire, et pas l'inverse ", peut-être avait-elle raison, je voulais un nom d'écrivain, un destin d'écrivain, une vie d'aventures, de plaisir et de liberté sans avoir réellement envie de me coltiner l'écriture, le travail, accroché à un rêve d'enfant. Et un jour alors que je venais de parler à Jeanne depuis une cabine téléphonique, dans cette tristesse que seul novembre sait fabriquer, novembre et Paris, j'ai aperçu un livre du coin de l'œil dans le bac d'un bouquiniste du quai Voltaire ; il s'appelait tout simplement En Russie, et était signé Olivier Rolin. J'avais trois pièces dans ma poche, je l'ai acheté, en pensant que c'était un heureux présage, tomber sur ce livre juste après avoir parlé à Jeanne. J'ignorais tout de cet auteur dont le nom avait quelque chose de familier, simple et proche. Je suis rentré chez moi à pieds, avec dans la tête la voix de Jeanne, sa belle voix, et à peine arrivé je me suis mis à lire, ce voyage était magnifique, la Russie de ce Rolin était captivante, pleine de beaux alcools et de nostalgie. À la fin du livre il y avait l'histoire d'un insecte vert appelé cétoine, dont je n'avais jamais entendu parler, qui est très fréquent dans les plaines russes, d'après l'auteur ; le voyage finissait sur ces mots : "les pages des livres sont des pétales que ronge le scarabée vert de l'oubli."

  J'ai refermé doucement le petit volume, j'ai regardé mon stylo, mes carnets luxueux désespérément vides, mon verre, ma bouteille, mes étagères, l'appartement crasseux, la vaisselle s'accumulant dans l'évier ; j'ai pensé qu'il n'y avait pas beaucoup de choses qui soient réellement importantes dans la vie, ni les œuvres que l'on écrit, ni les livres qu'on lit, ni la destinée, tout cela finissait avalé par une minuscule bestiole comme une fleur fragile, c'était triste, triste et joyeux à la fois, alors j'ai attrapé le seul objet  de valeur que je possédais, mon seul trésor, l'édition originale du Panama signé de la main unique du grand Blaise Cendrars, trouvée par hasard dans une brocante de province, un peu rongée par l'humidité. J'ai pris le Panama sous mon bras sans réfléchir, bouleversé par la Russie, par Jeanne, par ce Rolin et son scarabée ; j'ai presque couru jusque chez un marchand luxueux de la rue de l'Odéon, et j'ai immédiatement vendu ce Panama pour la somme qu'on me proposait, sans rien négocier, sans aucune douleur, sans regret.
  Je l'ai vendu, je suis rentré chez moi, j'ai mis un peu d'ordre, j'ai bu un petit verre et je me suis effondré dans un sommeil joyeux, les doigts de Jeanne me caressaient doucement la poitrine, comme un insecte faramineux.

  Et quinze jours après, quinze jours après je m'envolais pour Moscou."

Mathias Énard : extrait de " L'alcool et la nostalgie" Éditions Inculte, 2011

Photo credit: Miradortigre on Visualhunt / CC BY-NC

 

 

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15 mars 2016 2 15 /03 /mars /2016 18:44

 

" Il était une fois

Un homme qui commença

A boire à dix-huit ans.

Voilà son enterrement

A quatre vingt ans mourut

De ça bien entendu

Il était une fois

Un enfant qui mourut

A l'âge de un an

Voilà son enterrement

Bien sûr il n'a pas bu

Cet enfant qui mourut

Par là on voit très bien

Que l'alcool n'y est pour rien. "

Bertold Brecht : la petite chanson

A une époque où règne la confusion, où coule le sang

Où l'on ordonne le désordre,

Où l'arbitraire prend force de loi,

Où l'humanité se déshumanise...

Ne dites jamais " c'est naturel"

Afin que rien ne passe pour immuable.

Dans la règle trouvez l'abus

Et partout où l'abus s'est montré

Trouvez le remède !

 

Faites en sorte

Quand vous quitterez ce monde

de n'avoir pas seulement été bons

Mais de quitter un monde bon.

 

Bertold Brecht : " A une époque où règne la confusion"

 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bertolt_Brecht

 

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5 janvier 2011 3 05 /01 /janvier /2011 17:59
Mathias Énard, 2013, Salon du livre Paris, photo G.Seguin
Mathias Énard, 2013

  J'entendais Sarah dans la cuisine, elle devait préparer le dîner. J'ai laissé Lucie à ses exercices de grammaire et je suis retourné dans mon bureau. J'ai ouvert un carnet qui traînait par là et j'ai noté " la dernière charge des cosaques du Don " , je ne sais pas pourquoi. Puis j'ai attrapé la bouteille planquée dans le tiroir, il en manquait déjà un tiers, je me suis servi un grand verre, rapide, brûlant, de ceux que l'on termine en soufflant. J'ai eu un peu honte. J'ai remis Léonard Cohen, toujours l'imperméable. It's four in the morning, the end of Décember, j'ai rebu un coup, une goutte, même les cosaques du Don doivent boire pour se donner du courage, j'ai pensé. Cohen donnait à tout un air funèbre, dehors les lampadaires se répandaient sur le trottoir mouillé. Je n'osais pas sortir du bureau, j'entendais ma femme et ma fille, elles parlaient, il y avait des bruits de vaisselle, des éclats de voix, et tout cela se mélangeait avec l'alcool et Léonard Cohen, j'ai fermé la porte pour ne plus les entendre, mais je ne pouvais pas rester là éternellement , j'ai pensé prendre mon blouson et sortir, trouver une grande plaine blanche de neige où galoper, avec de belles bottes en cuir noir, un endroit où l'on serait vraiment libre, libre de se détruire et de ne rien faire de bon, courageusement, pour trouver, peut-être, si on avait de la chance, une seule phrase qui vaille la peine avant de mourir, à cheval, face à des ennemis innombrables, pour l'honneur, pour le plaisir, comme on serait allé au bar s'enfiler un dernier coup pour la route.

 

Mathias Enard, extrait d'une nouvelle parue dans Télérama n°3181, 1 au 7 janvier 2011

 

 

 

 

 

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9 décembre 2008 2 09 /12 /décembre /2008 19:36

 

Jonathan Nossiter à Deauville en 2020.
Jonathan Nossiter, 2020.

" Le vin terrifie les gens, parce-qu'il est lié à l'identité de la France. Chaque Français pense qu'il se doit d'avoir un avis, alors que le vin ne fait plus partie du quotidien de beaucoup de gens depuis une trentaine d'années. Les gens ont d'autant plus peur qu'ils n'ont pas de repères et doivent affronter, en plus,  snobisme, prétention, imposture...Et puis, on ne peut saisir d'un vin que des expressions momentanées, jamais son essence. Ce vin d'Anjou qu'on est en train de boire est affecté par l'ambiance de ce bar, surchargée d'égos, d'effluves climatisées contraires à l'essence d'un vin naturel. On est tous aplatis, ici. On l'aurait bu tranquillement à la maison, entre amis, avec peut-être un peu de vent passant par la fenêtre, il aurait été tout autre... C'est pour ça que les jugements définitifs sur les vins, sans parler des notes de Robert Parker, sont parmi les plus grosses conneries de la planète... Ces dernières années, on a vu des choses ahurissantes, comme ces nouveaux vins espagnols qui allient la prétention française au côté parvenu des Américains. Prenez le fameux Pingus, inventé par un Danois, Peter Sisseck, vendu 800 euros la bouteille après un évènement " opportun " en terme de marketing : le naufrage du bateau qui transportait le millésime 1995 aux Etats-Unis, et une note de 100 points par Robert Parker. Achetez un pot de confiture, ajoutez un peu d'alcool, et ça vous donne Pingus ! "

Jonathan Nossiter : entretien sur le thème du goût dans Télérama du 3 décembre 2008

 

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  • : Le Lecturamak
  • : "Nous serions pires que ce que nous sommes sans les bons livres que nous avons lus ; nous serions plus conformistes, moins inquiets, moins insoumis, et l'esprit critique, moteur du progrès, n'existerait même pas. Tout comme écrire, lire c'est protester contre les insuffisances de la vie." Mario Vargas Llosa. Discours du Prix Nobel" Je pense que nous n'avons pas de meilleure aide que les livres pour comprendre la vie. Les bons livres, en particulier. C'est la raison pour laquelle je lis : pour comprendre de quelle façon je dois vivre, et découvrir qui sont les autres, dans le secret d'eux-mêmes " Benjamin Markovits : extrait d'entretien pour Transfuges n° 31 juin-juillet 2009
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