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14 mars 2024 4 14 /03 /mars /2024 07:37

 

" S'il y a un grand écrivain aujourd'hui, ce qu'il peut être hasardeux de prétendre, c'est Barrès, et Gourmont, ce dernier depuis deux ou trois ans, et malgré l'insipide marotte qu'il a de l'Art avec un grand A. Les autres, Schwob, France, Régnier, etc., sont des truqueurs, rien de plus. Il y aurait peut-être eu Laforgue... Et puis, tous ces gens à romans, à nouvelles, à poèmes jamais interrompus sont sans intérêt. Il n'y a qu'une chose qui me rende curieux chez eux, c'est la faculté d'écrire sans s'arrêter, un roman tout de suite après un autre, comme Régnier, par exemple. À part cela rien, pas de personnalité. Ce qu'ils font, un autre pourrait le faire, et c'est là qu'est la tare. Des travailleurs, voilà tout. C'est peut-être beaucoup, oui. C'est peut-être rien aussi." ( Juillet 1903)

 

Grands écrivains, certes, peut-être... Grands imbéciles...

aussi ?

 

" Je lisais ce soir, dans La Liberté, un morceau de Barrès intitulé : Le regard de M. Renan. Eh ! bien, cela n'a rien d'extraordinaire, comme style. C'est bien, mais nullement remarquable.

   J'écrirais bien un article avec tout ce que je pense de Barrès, mais qui me le prendrait ? Personne. Partout on et à plat ventre devant le "grand écrivain", le "grand patriote", le "grand Français". On m'objecterait aussi probablement le "respect de la mort". Il s'est bien soucié de la mort de millions d'hommes, lui, pendant la guerre, alors qu'il débitait son "bourrage de crâne". Le patriotisme fait décidément beaucoup d'imbéciles. "( 8 décembre 1923 ).

   " Claude Aveline donne dans la Grande Revue des Souvenirs sur Anatole France. Il raconte que France écrivit la rectification suivante, au sujet des niaiseries qu'il écrivit au début de la guerre.

   " Je me laissai aller à faire de petits discours aux soldats vivants ou morts, que je regrette comme la plus mauvaise action de ma vie."

   C'est parfait. N'empêche que ce jour-là, France, tout France qu'il était, tel ce pauvre Gourmont, se sont conduits comme des imbéciles, et d'autant plus qu'ils étaient France et Gourmont. Il était si facile, au moins, de se taire. Il est vrai qu'en se taisant ils n'en eussent pas moins pensé dans ce sens. Alors, imbéciles quand même. (Samedi 7 novembre 1925)

 

Paul Léautaud, extrait de "Journal Littéraire" 1893, 1956, Éditions du Mercure de France, 1968, 1998.

 

Du même auteur, dans Le Lecturamak : 

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24 juillet 2023 1 24 /07 /juillet /2023 07:50

 

Marc Crépon a 25 ans en 1987, il vient de finir l'école normale supérieure et s'apprête à effectuer son service national dans la coopération. Il n'est bien sûr pas encore le philosophe qui va tenter de penser les totalitarismes du XXsiècle et, nourri par la littérature, la violence dans le langage. Il rêve alors du Japon mais il lit les poètes russes et commence par curiosité à apprendre cette langue. Il l'indique avec une certaine légèreté dans son dossier de candidature au ministère et c'est ainsi que sa vie sentimentale, intellectuelle et professionnelle prend un tournant qu'il n'aurait jamais imaginé : il est nommé en 1987 dans un pays satellite de l'URSS, la Moldavie, et plus précisément en tant qu'enseignant de français à l'université de la capitale Kichinev (aujourd'hui Chisinäu). Il est le seul Européen de l'Ouest en poste dans ce pays à un moment crucial de l'Histoire qui bientôt provoquera la chute de l'empire, la perestroïka menée par Mikhaïl Gorbatchev.

 

   Objet de surveillance politique voire policière, Marc Crépon tient durant ces neuf mois moldaves un journal qui rend compte de son initiation à la pensée en lien avec une situation politique concrète, mais aussi à l'amour et aux amitiés lointaines. Ce jeune homme momentanément déraciné raconte ainsi une situation historique qui a des résonances évidentes avec la guerre et la tragédie ukrainiennes actuelles. Marc Crépon y découvre en l'analysant cet homme abstrait inventé par le régime soviétique aux dépens de l'homme singulier, que les auteurs de l'Est ont bien sûr décrit ; la logique du colonialisme soviétique et aujourd'hui russe ; la mise au ban de la langue d'un peuple ; le quotidien intime et matériel de l'oppression ; les choix tragiques imposés à chacun pour espérer survivre ; le nationalisme et la question complexe des appartenances. Il y apprend aussi à se déprendre d'un certain éthos de l'intellectuel français bien

formé : le sentiment de supériorité, le jugement hautain et le mépris du masque démocrate. Il décentre sa pensée, il se contraint à suspendre son jugement afin d'apprendre des autres, ces gens d'un autre monde politique..."

 

Christophe Dabitch : extrait de sa critique du "Journal de Moldavie", de Marc Crépon, dans le n° 243 du magazine LMDA, Mai 2023.

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17 février 2023 5 17 /02 /février /2023 08:11

 

Sandor Maraï

"  À dix heures du soir, je sors mon volume de Racine de ma bibliothèque, une belle édition du milieu du XIXsiècle, et je commence à lire Phèdre. J'en suis au début du deuxième acte quand la radio qui diffusait de la musique dans la troisième pièce de l'appartement se tait et reprend, en claironnant : " Attention ! Alerte aérienne ! " Et elle donne des chiffres. Les Anglais sont entrés quelque part dans l'espace aérien hongrois. Je lève les yeux de Phèdre et j'écoute. C'est tout les jours la même chose, on crie au loup, et nous nous y habituons peu à peu. Il est possible qu'il ne se passe rien mais il se peut aussi que je disparaisse dans quelques minutes avec le quartier où j'habite. " S'habitue-t-on " vraiment à cela ?... En m'observant, à ma grande surprise, je suis obligé de répondre que, oui, on s'habitue. Aucune crainte, aucune révolte dans mon cœur. Le destin indifférent me tient entre ses mains. Moi aussi, je suis indifférent. Je continue ma lecture, j'écoute les râles d'Hyppolite. Les Français, et Jules Renard avec eux, placent Racine au-dessus de Shakespeare. C'est exagéré, d'après moi. Puis je ferme le livre et je m'endors. ( Journal, année 1943 )"

 

Sándor Márai :  Journal Les années hongroises 1943-1948, Albin Michel, 2019.

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3 juin 2008 2 03 /06 /juin /2008 18:30

" Toutes les dénégations de Flaubert sur sa souffrance et sur son mal à écrire cachent un extraordinaire appétit pour le plaisir : un plaisir  qui lui a fait fermer sa porte, ne plus avoir de femmes , se débarrasser de tout le reste pour se mettre dans les auteurs latins, dans ses tas de papier, ses carnets , ses notes, ses petits quadrillages... et dans l'illumination de ses phrases,  parfaites. Ce qu'il cherche, c'est le miracle d'un embrasement de la langue, que les mots se mettent à scintiller et à flamboyer : il appelle ça les "aigrettes de feu " . Je me demandais ce qui fait la différence entre Huysmans et Flaubert. La voilà. Les "aigrettes de feu". Dans Huysmans, ça sent l'huile de coude, il n'y a pas d'inspiration. C'est mat, c'est pas mal, on le lit avec plaisir mais...on sent que chez Flaubert il y a des phrases qui l'ont tordu de joie et de douleur, Huysmans non : c'est un bon faiseur."

Pierre Michon : " Le roi vient quand il veut "

 

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  • : Le Lecturamak
  • : "Nous serions pires que ce que nous sommes sans les bons livres que nous avons lus ; nous serions plus conformistes, moins inquiets, moins insoumis, et l'esprit critique, moteur du progrès, n'existerait même pas. Tout comme écrire, lire c'est protester contre les insuffisances de la vie." Mario Vargas Llosa. Discours du Prix Nobel" Je pense que nous n'avons pas de meilleure aide que les livres pour comprendre la vie. Les bons livres, en particulier. C'est la raison pour laquelle je lis : pour comprendre de quelle façon je dois vivre, et découvrir qui sont les autres, dans le secret d'eux-mêmes " Benjamin Markovits : extrait d'entretien pour Transfuges n° 31 juin-juillet 2009
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