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6 janvier 2024 6 06 /01 /janvier /2024 08:08

 

Jean-Michel Maulpoix par Patrick Bogner, mars 2023
Jean-Michel Maulpoix

C'est un peu comme si les freins de ton vélo avaient lâché au sommet de la côte. Irrésistiblement, tu prends de la vitesse. Le temps qui file à toute allure te blanchit les tempes. Tu ne roules plus, tu glisses. Ta vie est de neige, de sable et d'eau courante.

   L'inconnu est de plus en plus proche. Il ne se déguise plus en terres lointaines, en azurs, en chimères. Assis là, sur la chaise, il t'attends devant la porte.

 

   Que lui dire ? La misère n'est précise qu'en sa phrase démunie. La machine du cœur continue son travail. Au-dehors, la campagne dort. Là-bas, la pluie est silencieuse. Il n'est de chant possible qu'un bâillon sur  la bouche.

   Tu attends, toi aussi, derrière la porte, l'oreille déjà collée contre le bois. Tu as pris rendez-vous. Ton tour viendra bientôt. Tu ne guériras pas de cet abîme.

 

 

   Viendra-t-elle à minuit, quand la lune est bien ronde, ou dans l'aube en même temps que la pluie ? Nue, gracile, mais froide, la pointe des seins dure comme la pierre ? Peut-être même un reste de rêve dans le regard ? Et je ne sais quel sourire encore sur les lèvres...

   - Appelons cela, si vous voulez bien, la douceur ou la douleur de disparaître.

 

   Qu'elle entre donc par la fenêtre, un matin ou un soir d'été, avec la lumière du soleil et le souffle du vent, tandis que je lirai un livre, la tête pleine de rumeurs, si elle ne brise pas tout à coup ma plume, arrêtant mon geste.

 

   - Je croiserai les bras, effondré sur la table. Comme un voleur de nuit cachant ce qu'il dérobe.

 

Jean-Michel Maulpoix, extraits de "L'hirondelle rouge", Éditions du Mercure de France, 2017.

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27 novembre 2023 1 27 /11 /novembre /2023 12:33

 

Georges Dumézil.

" ... Je vis avec la mort depuis 1918. Aujourd'hui, ça m'est indifférent. Je n'ai pas peur, je ne suis pas matérialiste, je suis agnostique et j'ignorerai ce que recouvrent en réalité des mots tels que "inconscient" ou "esprit" tant que l'on ne saura pas exactement ce qui se passe dans chaque neurone, comment se fabrique la mémoire... Je n'imagine pas qu'il puisse subsister quelque chose d'un être organique après sa mort...

   Je suis un chercheur qui cherche, mais je ne crois en rien sinon en l'avenir de la science... La recherche doit être gratuite, désintéressée et nécessaire. On ne peut pas faire autrement. On se prend au jeu. J'ai envie de voir jusqu'où je peux aller, où me mèneront mes travaux, tout en étant persuadé que nous n'en sommes qu'aux premiers balbutiements... La science n'a pas quatre cent ans, qu'elle soit mathématique, physique, biologique... Newton ou Lavoisier ne se posaient pas de questions sur la finalité de leur recherche. Ils travaillaient pour aider l'humanité à progresser. On fait marcher le cerveau pour la même raison que l'animal qui a de bonnes pattes galope. Les chercheurs se mettent tous sur les épaules les uns des autres. Je suis sur les épaules de Marcel Granet qui lui-même... Je suis un chaînon dans une science qui ne livrera pas ses secrets avant longtemps. Souvenez-vous de ce que disait Ernest Renan dans L'avenir de la

science : "Que ne donnerais-je pas pour avoir entre les mains un livre d'école primaire de 1948..." Je dirais pareillement : que ne donnerais-je pas pour savoir ce qui sera... On n'est jamais qu'un moment, une étape..."

 

Georges Dumézil : extrait d'un entretien avec Pierre Assouline, Magazine Lire n°114,mars 1985,  recueil "Les grands entretiens de Lire", par Pierre Assouline, Éditions Omnibus, 2000. 

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8 octobre 2023 7 08 /10 /octobre /2023 22:50

 

Portrait présumé de Montaigne

" Il ne faut rien projeter de si longue haleine ou au moins avec telle intention d'être affecté si l'on n'en voit la fin...

    Sortez de ce monde comme vous y êtes entré. Le même passage que vous fîtes de la mort à la vie, sans passion et sans frayeur, refaites-le de la vie à la mort. Votre mort est une des pièces de l'ordre de l'univers. c'est une pièce de la vie du monde..."

   Les mortels s'échangent la vie entre eux et, comme des coureurs, ils se transmettent les flambeaux de la vie. (Lucrèce, "De rerum natura")

   Je veux que la mort me trouve plantant mes choux mais nonchalant d'elle, et encore plus de mon jardin imparfait..."

 

                                                           

 

Michel de Montaigne : Essais Livre 1, Chapitre 20. Édition d'Emmanuel Naya, Delphine Reguig et Alexandre Tarrête, Gallimard, 2009.

 

​​​​​​​Du même auteur, dans Le Lecturamak : 

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11 mars 2023 6 11 /03 /mars /2023 08:10

 

Portrait d'Herman Melville by Joseph O Eaton. Commandé et présenté à la famille par le beau-frère de Melville, John Hoadley. Le portrait est maintenant accroché dans la salle Edison et Newman de la bibliothèque Houghton de l'Université de Harvard.
Herman Melville

" Dans quel recensement des vivants les morts de l'humanité sont-ils comptés ? Pourquoi un proverbe universel veut-il qu'ils ne parlent pas, alors qu'ils détiennent plus de secrets que les dunes de Goldwin ? Comment se fait-il que, d'un mot impie et lourd de sens, nous disions d'un homme qu'il s'en est allé hier pour l'autre monde, alors que nous ne lui accorderons pas cette expression s'il se contente de s'embarquer pour l'orient le plus lointain de notre planète des vivants ? ... Quel est cet état de paralysie, absolue et éternelle, quelle est cette catalepsie sans remède où se trouve plongé aujourd'hui encore le très vieux Adam qui mourut il y a soixante siècles ? Et d'où vient que nous refusions d'être consolés  de la perte de ceux qui jouissent pourtant, prétendons-nous , d'une indicible félicité ? D'où que les vivants s'acharnent à réduire les morts au silence ? D'où, que la simple rumeur d'un coup entendu dans une tombe sème la terreur dans une ville entière ? Toute ces choses ne sont pas dépourvues de signification. 

   La Foi, pourtant, tel un chacal, trouve son aliment parmi les sépultures, et c'est précisément de ces doutes qui planent sur les tombeaux qu'elle tire l'espérance qui la fait vivre.

   Il est à peine besoin de dire les sentiments qui m'agitaient tandis que je contemplais, à la veille de mon départ pour Nantucket, ces stèles de marbre et lisais, à la lumière indécise de ce jour morne et assombri, le sort des pêcheurs qui m'avaient précédé. Oui, Ismaël, un sort identique pourrait être le tien. Cependant, je ne sais pourquoi, je ne tardai pas  à me sentir à nouveau le cœur joyeux. Les délicieuses séductions du départ, l'occasion unique d'une promotion, semble-t-il... mais oui ! un canot défoncé me vaudra un brevet d'immortel. Ah ! la camarde est donc de la partie - et elle vous précipite son homme dans l'Éternité brutalement, sans un cri, comme un paquet. Mais qu'importe ! Il me semble que nous avons fort mal compris cette question de la Vie et de la Mort ; que ce que l'on appelle mon ombre sur terre est ma véritable substance ; que, lorsque nous considérons les choses spirituelles, nous ressemblons par trop à des huîtres qui, observant le soleil à travers l'eau de mer, prennent cette eau épaisse pour l'air le plus impalpable ; et que mon corps n'est que la lie de mon être supérieur. Prenne mon corps qui veut ! Prenez-le, vous dis-je, il n'est pas moi... Et que coule, s'il le faut, le canot

crevé ! en emportant mon corps, car pour ce qui est de défoncer mon âme, Jupiter lui-même ne le pourrait..."

 

 

Herman Melville, extrait de Moby Dick,1851,  dans une traduction de Philippe Jaworski, Édition Gallimard, 2006.

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4 mars 2023 6 04 /03 /mars /2023 08:07

 

Sand à Flaubert.

 

Nohant, 27 juin 1870

 

Encore un chagrin pour toi, mon pauvre vieux. Moi, j'en ai aussi un gros, je pleure Barbès, une de mes religions, un de ces êtres, qui réconcilient avec l'humanité. Toi, tu regrettes ce pauvre Jules et tu plains le malheureux Edmond... Quelle époque ! Ils meurent tous, tout meurt et la terre meurt aussi, mangée par le soleil et le vent. Je ne sais où je prends le courage de vivre encore au milieu de ces ruines. Aimons nous jusqu'au bout...

 

Flaubert à Sand.

 

2 juillet, samedi soir

...

La mort de Barbès m'a bien affligé, à cause de vous ! L'un et l'autre nous avons nos deuils. Quel défilé de morts depuis un an ! J'en suis abruti, comme si on m'avait donné des coups de bâton sur la tête. Ce qui me désole (car nous rapportons tout à nous) c'est l'effroyable solitude où je vis ! 

 Je n'ai plu personne, je dis personne avec qui causer !" Qui s'occupe aujourd'hui de faconde et de style ?*"

   À part vous et Tourgueneff je ne connais pas un mortel avec qui m'épancher sur les choses qui me tiennent le plus à cœur, et vous habitez loin de moi, tous les deux !...

   Le pauvre Edmond de Goncourt est en Champagne chez des parents. Il m'a promis de venir ici à la fin de ce mois. Je ne crois pas que l'espoir de revoir son frère dans un monde meilleur le console de l'avoir perdu dans celui-ci !

   On se paye de mots dans cette question de l'immortalité. Car la question est de savoir, si le moi persiste. L'affirmative me paraît une outrecuidance de notre orgueil. Une protestation de notre faiblesse contre l'ordre éternel. La mort n'a peut-être pas plus de secrets à nous révéler que la vie ?...

* Citation de Louis Bouilhet.

 

George Sand - Gustave Flaubert, extrait de "Tu aimes trop la littérature, elle te tuera. Correspondance" , Éditions Le Passeur, 2018.

 

 

Des mêmes auteurs, dans Le Lecturamak : 

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  • : "Nous serions pires que ce que nous sommes sans les bons livres que nous avons lus ; nous serions plus conformistes, moins inquiets, moins insoumis, et l'esprit critique, moteur du progrès, n'existerait même pas. Tout comme écrire, lire c'est protester contre les insuffisances de la vie." Mario Vargas Llosa. Discours du Prix Nobel" Je pense que nous n'avons pas de meilleure aide que les livres pour comprendre la vie. Les bons livres, en particulier. C'est la raison pour laquelle je lis : pour comprendre de quelle façon je dois vivre, et découvrir qui sont les autres, dans le secret d'eux-mêmes " Benjamin Markovits : extrait d'entretien pour Transfuges n° 31 juin-juillet 2009
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