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10 janvier 2024 3 10 /01 /janvier /2024 08:09

 

Proust

À qui Proust s'était-il durablement attaché en trente ans de vie adulte...? Qui put se croire réellement son intime, avec ce que cela suppose d'abandon confiant ? Pour faire mieux l'amitié que l'amour, Cocteau l'accuse de n'avoir jamais su faire ni l'un ni l'autre. Marcel est comme Anna de Noailles, l'avait prévenu Lucien Daudet. Il n'a aucun cœur. Les gens qu'il "aime", il les oublie en cinq minutes. ( À moins qu'il ne les tourmente comme des mouches, ou qu'ils ne soient prétexte à se tourmenter.) Les scènes les plus étonnantes de la Recherche ne sont-elles pas des épisodes de vengeance ?... La Recherche, veut-il croire, aura d'abord permis à Proust d'assouvir ses désirs de revanches meurtrières. ( L'on se demande pourquoi Marcel Proust-Dr Jekyll pardonnait à l'humanité de Dieu, et se changeait en Marcel Proust-Hyde, quand il créait une humanité dont il devenait à mesure le bourreau, écrit Lucien Daudet. ).... Un pauvre être détraqué qui, en répudiant ses amis véritables, avait rompu tout rapport avec l'humanité. Coupant à son tour les ponts et les souterrains qui les rattachent encore, Cocteau ne voit plus en Proust qu'un étranger radical. Il cherche à rétablir la vérité sur cet insecte atroce qui aura englouti son entourage, à la façon des termites broyant des millions de brindilles, pour construire son ultime demeure.

 

   N'aimant plus que les personnalités droites et les œuvres pures, avec le déclin de ses désirs, Cocteau se retourne contre tous ceux qu'il a trop souvent loués. La perversité amoureuse de Sachs, la cruauté conjugale de Picasso, le plaisir que prend Gide à tirer un enfant en guenilles de sa mansarde, à soixante-dix ans passés, lui répugnent désormais. L'omniprésence du Mal hante cet homme fier d'avoir une sexualité saine, dirigée vers des adultes consentants. Certain de sa propreté morale, heureux d'avoir mis en scène des anges, non des ordures, il s'étonne : ne mériterait-il pas plus que Proust une forme de béatification ?

Cocteau.

   Comment les lecteurs ne voyaient-ils pas la montagne de merde que dissimule la Recherche ?...

   Quiconque aborde aujourd'hui la Recherche ne lit évidemment pas le même livre que Cocteau. Il plonge dans une somme dont l'interminable accouchement lui a été épargné, comme les doutes qu'il inspirait à son auteur. Plus qu'une oeuvre, il explore un continent cartographié depuis un siècle et grouillant d'ouvrages adjacents, d'études littéraires et de traités philosophiques qui l'ont d'autant augmenté, qu'ils soient signés Walter Benjamin, Georges Poulet, Maurice Blanchot, Gérard Genette, Gilles Deleuze, Serge Doubrovsky ou Elisabeth Ladenson... Il s'engage dans une somme dont les contradictions elles-mêmes sont célébrées et au sujet de laquelle personne n'aurait plus l'idée de faire la moindre réserve. Il contribue à améliorer ce monument inachevé, en lui prêtant toutes les vertus...

   Le petit Marcel que fréquenta Cocteau n'est pus qu'un vague souvenir, Le grand Proust l'a partout emporté..."

 

Claude Arnaud, extraits de Proust contre Cocteau, Éditions Grasset et Fasquelle, 2013.

 

 

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14 février 2023 2 14 /02 /février /2023 08:54

 

Autoportrait d' Émile Zola .
Émile Zola, 1902

À aucune époque, la forme n'a préoccupé davantage nos écrivains. En face des bâcleurs  de besogne, tout un groupe de stylistes a grandi. Il semble que la fécondité effroyable des faiseurs de feuilletons et des faiseurs d'articles, que ces charretées de phrases incolores et incorrectes vidées chaque matin sur la tête du public par les tombereaux de la presse, aient poussé les esprits lettrés à une réaction violente. Ils se sont mis à l'écart, ils sont devenus des bijoutiers littéraires, ils ont d'autant plus ciselé leur style que les romanciers feuilletonnistes et les journalistes lâchaient davantage le leur...

 

               ******

 

   Il y a donc un jargon particulier dans chaque période littéraire, que la mode adopte, qui séduit tout le monde, qui se démode et qui, après avoir fait la fortune des livres, les condamne justement à l'oubli. Alors, nous devons avoir notre jargon, nous autres aussi. Le malheur est que, si nous voyons nettement celui des époques disparues, nous ne sommes nullement blessés par le nôtre ; au contraire, il doit être notre vice, notre jouissance littéraire, la perversion du goût qui nous chatouille le plus. Souvent, j'ai pensé à ces choses, et j'ai été pris d'un petit frisson, en songeant que certaines phrases, qui me plaisent tant à écrire aujourd'hui, feront certainement sourire dans cent ans..."

 

 

Émile Zola : extraits de "Les romanciers naturalistes", 1881.

Relevé dans le livre : "La langue littéraire, une histoire de la prose en France..." Arthème Fayard, 2009.

 

 

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27 janvier 2009 2 27 /01 /janvier /2009 17:49
Julien Gracq (27 juillet 1910 - 22 décembre 2007), né Louis Poirier, écrivain français. Photographie prise en 1951
Julien Gracq, en 1951

" Un écrivain ne peut jamais lire un de ses  livres comme le fait un lecteur vierge, puisqu'il l'a écrit, lentement, péniblement. En revanche, l'écrivain qui relit un de ses ouvrages ( opération tout à fait singulière, qui implique un porte-à-faux continuel ) se rapproche de la position qui est celle du relecteur normal : il est capable de censurer et de frapper partiellement de " non-dit ", en se relisant, tout ce qui se situe au-delà de la page qu'il parcourt. Et son texte, quand il se remet ainsi dans la position du lecteur, lui paraît un texte lisse, qui se tisse de page en page avec régularité : le travail de l'écriture, les ratures, les hésitations, les ajouts, ne lui laissent pas de souvenirs vivants et s'éclipsent dans le sentiment de la "réalisation". Mais le livre ne s'est nullement fait comme il le relit, sortant régulièrement page après page comme d'une rotative. Il le sait, mais il le sait abstraitement : il a tendance à se relire comme un lecteur le lit. C'est ce que j'appelle " retirer les échafaudages ". Les échafaudages sont retirés avant qu'on ne livre l'ouvrage aux lecteurs. Mais ils sont retirés aussi pour l'architecte, chaque fois qu'il revisite la maison construite par lui.

Julien Gracq : " Entretiens " José Corti 2002                                  

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  • : Le Lecturamak
  • : "Nous serions pires que ce que nous sommes sans les bons livres que nous avons lus ; nous serions plus conformistes, moins inquiets, moins insoumis, et l'esprit critique, moteur du progrès, n'existerait même pas. Tout comme écrire, lire c'est protester contre les insuffisances de la vie." Mario Vargas Llosa. Discours du Prix Nobel" Je pense que nous n'avons pas de meilleure aide que les livres pour comprendre la vie. Les bons livres, en particulier. C'est la raison pour laquelle je lis : pour comprendre de quelle façon je dois vivre, et découvrir qui sont les autres, dans le secret d'eux-mêmes " Benjamin Markovits : extrait d'entretien pour Transfuges n° 31 juin-juillet 2009
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