" Je ne sais pas l'Algérie. Je sais - mal - la colonisation, du moins ce qu'en disent les livres, les images, celles des battus au sang, des peaux brûlées par autre chose que le soleil, la fumée crachée et l'os rompu. Je ne sais pas l'exil, le départ forcé, l'abandon. Je sais - juste - la rage de l'injustice, qui ne se partage pas. Je sais - de loin, de très loin - le passé, l'année 1962, le soulèvement final des invisibles, la panique des installés depuis tant et tant, et les bateaux lestés de meubles comme un cargo de colères...Je ne sais pas Alger, ses ruelles où se déhanchent des ânes, ses côtoiements et ses évitements, et sa mer quittée par de prétendus ancêtres pour un presque toujours. Je sais en revanche les propos âcres et comme noircis au charbon des pieds-noirs, leurs allusions rouillées, tout ce fastidieux rituel de la nostalgérie où clapotent l'amertume et quelque chose de moins suave. Je ne sais pas la famille, pas vraiment - moule brisé, vase fêlé, d'où coule , pire que le sang, le vin, le rouge qui ne sait que tacher, et qui draine jour après jour, nuit après nuit, son coupable cortège d'outrages. Je ne sais pas l'arabe, rien de ses signes, de ses sens, de sa gorge. Je sais la coupure, le rejet, le déni... Je sais - peut-être - pourquoi je ne sais pas, n'ai pas voulu - longtemps - savoir. Je ne sais pas l'héritage, la transmission, mais je sais le poids de leur ombre, la ténacité des choses tues. Je sais le racisme, les mots "bougnoul" et "bicot", parce qu'entendus, reçus, et ne sachant qu'en faire, les rapportant à la maison, les posant au pied des parents, et la gêne, avec en retour un autre mot, "pied-noir", qui me semblait alors l'équivalent de "mains sales"..."
Claro : extraits de "La maison indigène", Éditions Actes Sud, 2020.
Il a fallu un long temps de refoulement et de mûrissement, puis qu'une multitude de hasards s'en mêle, pour que Claro accepte de pousser la porte et d'entrer, " à reculons, en espérant que le m...
https://www.telerama.fr/livres/la-maison-indigene,n6625136.php
Du même auteur, dans Le Lecturamak :
se méfier de son style - Le Lecturamak
" La littérature, c'est toujours mettre la langue à l'épreuve de toutes ses forces : comment on décrit un champignon atomique, comment une tranchée, etc. Sans tomber dans le cliché. Le clich...
http://le-lecturamak.over-blog.com/article-se-mefier-de-son-style-60777777.html
commenter cet article …